Le Quotidien de Médecin / 13 septembre 2001
35 heures à l'hôpital :
au tour des médecins
Après les personnels
hospitaliers, Elisabeth Guigou et Bernard Kouchner reçoivent aujourd'hui
l'ensemble des syndicats de praticiens hospitaliers pour la reprise des
discussions sur les 35 heures, dont l'application est prévue au 1er janvier
2002. Les médecins, qui avaient claqué la porte des négociations à la fin du
moi de mai, ont, depuis, transmis leurs propositions communes aux ministres.
Dans un entretien avec « le Quotidien », le Dr Rachel
Bocher,
président de l'INP se dit inquiète de l'issue de ces discussions
Le Dr Rachel Bocher (INPH) : « Je suis inquiète »
Présidente de l'Intersyndicat
national des praticiens hospitaliers (INPH), le Dr Rachel
Bocher
ne cache pas son inquiétude à quelques heures de l'ouverture de ces négociations
avec les pouvoirs publics. Décidée à rester ferme sur les propositions que
les syndicats de médecins ont faites ensemble au gouvernement, Rachel
Bocher
dit n'écarter aucune éventualité en cas d'échec des discussions. C'est dans
cet esprit qu'elle affirme que « tout est possible », quant à la
participation de son organisation à la manifestation des personnels prévue
pour le 20 septembre.
LE QUOTIDIEN -
Dans quel état d'esprit abordez-vous cette nouvelle étape dans la négociation
des 35 heures pour les praticiens hospitaliers.
Dr RACHEL BOCHER - Dire que je me rends à ces négociations avec
l'esprit apaisé et tranquille serait bien contraire à la vérité :
car en effet, je suis inquiète, très inquiète. A quelques heures de
l'ouverture de ces négociations, nous n'avons encore reçu aucune proposition
nouvelle des pouvoirs publics concernant les 35 heures pour les praticiens
hospitaliers, dont l'application doit entrer en vigueur au 1er janvier
2002. C'est dire que nous en savons pas aujourd'hui quel est l'état d'esprit
des pouvoirs publics sur ce problème, s'ils ont évolué depuis leurs dernières
propositions que nous avons unanimement rejeté, tant elles nous semblaient irréalistes,
même parfois indignes. Il faut espérer que le gouvernement ait depuis lors
bien révisé sa copie. Sinon, il faut s'attendre au pire.
Appliquer totalement
le protocole d'accord de mars 2000
L'ensemble des
syndicats de praticiens hospitaliers ont fait, au début de l'été, un ensemble
de propositions aux pouvoirs publics sur l'application de ces 35 heures.
Pensez-vous qu'Elisabeth Guigou et Bernard Kouchner vous ont entendus ?
Il est évident que nos
syndicats n'auraient pas travaillé aussi dur sur ces propositions s'ils n'espéraient
que les pouvoirs publics les étudient. C'est quand même le moins que nous
puissions attendre. Mais, il est vrai, que nous ne savons même pas si cela a été
le cas, et si le gouvernement tiendra compte de nos observations et de nos
propositions. Nous n'avons eu en effet aucun retour, aucun écho de ces
propositions que nous avons faites il y a pourtant déjà un certain temps.
Pensez-vous que les
praticiens hospitaliers soient aujourd'hui suffisamment mobilisés pour
convaincre les pouvoirs publics de conclure rapidement sur cette question des 35 heures ?
Les médecins dans les hôpitaux
suivent de très près ces discussions. Mais surtout, ils sont préoccupés par
la situation de l'hôpital public qui vit des moments difficiles. Ils disent au
gouvernement : « Commencez par appliquer totalement le protocole
d'accord que vous signé en mars 2000 ; accordez les moyens que vous avez
promis pour que l'hôpital public puisse accomplir les missions qui sont les
siennes. En clair, il faut donner aux médecins le moyens d'exercer leur métier
dans des établissements de soins de qualité. »
La cerise sur le gâteau
La réduction du
temps de travail appliqué aux médecins permettra-t-elle cependant de
sauvegarder la sécurité, la qualité des soins des hôpitaux ?
En fait, vous me
demandez clairement si les médecins vont déserter l'hôpital au nom des 35 heures.
La réponse est évidente : les praticiens hospitaliers continueront à
travailler 51 heures par semaine, à soigner leurs malades et à s'occuper
de l'hôpital public. Mais il est vrai que nous tenons à ces 35 heures,
qui font envie aux médecins qui pourront avoir de nouveaux temps libres.
L'important, l'essentiel reste, il est vrai, le problème du statut sur lequel
nous travaillons. Les 35 heures, c'est la cerise sur le gâteau. Mais pour
nous, elle est importante.
Comment appréhendez-vous
la négociations entre le gouvernement et les autres personnels hospitaliers ?
Nous comprenons les
revendications des syndicats qui, eux aussi, demandent que l'on prenne en compte
la situation de l'hôpital public et la qualité des soins dans la mise en place
des 35 heures. C'est pourquoi il y a une divergence importante entre les
demandes de création d'emplois des syndicats de personnels et le propositions
du gouvernement.
Ces syndicats appellent
à une manifestation le 20 septembre. Plusieurs organisations de praticiens
hospitaliers semblent prêts à s'y associer. Et l'INPH ?
Tout est possible, selon
le résultat des négociations et les propositions des pouvoirs publics. Nous n'écartons
aujourd'hui aucune éventualité.
Propos recueillis
par Jacques DEGAIN
La négociation des 35 heures à l'hôpital
Les praticiens bien décidés à faire plier le gouvernement
Il y a plus de trois
mois, ils claquaient tous la porte du ministère de la Santé ; aujourd'hui,
jeudi, c'est avec « prudence », « vigilance », « inquiétude », mais aussi
« pleins d'espoir », que les syndicats de praticiens hospitaliers (PH)
reprennent la négociation sur la réduction du temps de travail (RTT) des médecins
de l'hôpital public.
Les
praticiens hospitaliers demandent la création de 3000 nouveaux postes
(S.Toubon)
A
VANT l'été, il n'aura fallu que cinq séances de discussion pour que s'écroule,
le 31 mai dernier exactement, la négociation sur la réduction du temps de
travail des praticiens hospitaliers (PH).
Ce jour-là, les
quatre intersyndicats de PH claquaient ensemble la porte du ministère de la
Santé, en désaccord avec les propositions que leur faisaient depuis le mois de
février les pouvoirs publics. Le projet défendu par la direction de
l'Hospitalisation et de l'Organisation des soins (DHOS) était perçu comme une
véritable provocation, comme un affront que le passage des mois d'été n'a pas
réussi à effacer. « Ces textes étaient bâclés », tempête
aujourd'hui encore le Dr Rachel
Bocher,
présidente de l'INPH (Intersyndicat national des praticiens hospitaliers). «
Ils n'étaient pas vraiment sérieux », renchérit le Dr Pierre Faraggi,
qui préside la CHG (Confédération des hôpitaux généraux).
Les propositions des médecins
Depuis leur coup d'éclat,
les syndicats de PH ont élaboré une plate-forme commune sur les 35 heures («
le Quotidien » du 4 juillet). C'est sur la base de ce document qu'ils veulent
que la discussion reprenne avec la ministre de l'Emploi et de la Solidarité,
Elisabeth Guigou, et le ministre délégué à la Santé, Bernard Kouchner. «
Si on ne prend pas ce chemin-là, les choses risquent d'être difficiles, prévient
le SNAM (Syndicat des médecins, chirurgiens, spécialistes et biologistes des hôpitaux
publics) qui se veut par ailleurs « plein d'espoir » et ne doute pas «
que les deux mois qui viennent de s'écouler ont profité à la réflexion des
pouvoirs publics ».
Que demandent les médecins de l'hôpital ? Que les 35 heures se traduisent pour
eux par un solde de récupération annuelle du temps de travail de 23 jours
ouvrables, que leur amplitude hebdomadaire maximale soit désormais de 46
heures, gardes comprises (sauf cas exceptionnels et donnant lieu à
compensation), que la RTT du corps médical se fasse en deux ans et occasionne
la création de 3 000 nouveaux postes de PH. Un programme évidemment beaucoup
plus ambitieux que les 10 jours de congés annuels et la limite de 48 heures
maximales de travail hebdomadaire (au-delà desquelles s'appliquaient des
dispositions spécifiques) imaginés par le gouvernement.
« Situation surréaliste »
Plus qu'échaudés
par la première phase des débats, les syndicats n'attendent pas de s'asseoir
autour de la table des négociations pour s'armer en guerre. Certains d'entre
eux (la CHG, la CMH - Coordination médicale hospitalièr - et le SNAM) ont déjà
prévu de s'associer aux manifestations qu'organiseront les personnels de l'hôpital.
« Nous sommes prêts à toutes les actions que nous demanderont nos
mandants. Et depuis le début du mois de septembre, nous notons une grande
mobilisation des esprits sur la question des 35 heures », insiste le SNAM.
L'inquiétude des syndicats est alimentée par les méthodes de concertation
choisies par les ministres. « Nous sommes dans une situation surréaliste :
le dossier est en jachère depuis trois mois, la reprise des débats est
imminente et nous n'avons aucune position nouvelle du gouvernement à nous
mettre sous la dent », commente le Dr François Aubart, qui préside la CMH.
Quant au fond des futures propositions d'Elisabeth Guigou et de Bernard
Kouchner, il sera, c'est promis, décortiqué par les PH. Etant donné la
situation de la démographie médicale à l'hôpital, les difficultés qu'il y
aura à pourvoir les postes nouveaux dans certaines spécialités et dans
certaines régions, « on ne nous fera pas prendre des vessies pour des
lanternes », affirme le Dr Faraggi, tandis que François Aubart met en
garde : « On ne se contentera pas de l'annonce de 1 500 nouveaux postes
assortis de quelques mesures générales relatives à la durée maximale du
travail. »
« Il s'agit, résume Rachel
Bocher,
de faire passer aux 35 heures les médecins concernés sans que soient attaquées
la qualité et la sécurité des soins ».
Karine PIGANEAU