Le Quotidien du Médecin / 26 avril 2002

Elections présidentielles

Le Pen fait peur aux médecins à diplôme étranger

La poussée du Front national lors du premier tour de l'élection présidentielle soulève une vive inquiétude chez les 10 000 médecins à diplôme étranger qui exercent en France.

Ils se battent depuis des années pour être intégrés dans la société française, pour trouver leur place au sein de la patrie des droits de l'homme, et voilà que, alors que la partie est près d'être gagnée, la France conduit au second tour de l'élection présidentielle Jean-Marie Le Pen, qui n'a jamais caché son hostilité à leur égard, ni même son souhait de les voir rentrer dans leur pays d'origine.

Cinq jours après que le résultat du 21 avril est tombé, les 10 000 médecins à diplôme extra-européen exerçant en France n'en reviennent toujours pas. Certaines de leurs organisations sont officiellement montées au créneau : le Syndicat Médical Plus (SM +), comme le Comité des médecins à diplôme étranger (CMDE) ont appelé leurs adhérents à faire barrage à l'extrême droite au second tour - rappelons qu'une écrasante majorité de ces médecins ont la nationalité française et iront donc voter le 5 mai. Une position adoptée au nom de la conservation de la démocratie et de la République mais qui ne peut que trouver un écho particulier dans cette frange du corps médical.
En effet, vis-à-vis de ceux qu'il qualifie, sans trop entrer dans le détail, d'« étrangers sous-qualifiés », le Front national ne fait pas mystère de ses intentions. « Jean-Marie Le Pen nous a souvent brocardés, note un responsable du SM+ qui se souvient avoir entendu le candidat FN se livrer à cet exercice lors d'un débat télévisé, « au milieu des années quatre-vingt ».
Fervent partisan de la « préférence nationale » (voir encadré) pour les médecins hospitaliers comme pour les médecins de ville, Jean-Marie Le Pen veut aussi assurer à la médecine « un encadrement dont le diplôme d'origine soit avéré et de qualité homogène ».

Un sursaut « civique et républicain » le 5 mai

Tout est dit et en même temps le flou est préservé qui permet aux interprétations les plus folles de circuler. Et cela ne manque pas de se produire. Le candidat du Front national aurait le projet de « dénaturaliser » les Français de fraîche date, privant d'un seul coup de conditions de travail lentement et péniblement acquises la quasi-totalité des médecins à diplôme étranger présents en France.
La semaine prochaine sont organisées les dernières épreuves d'accès au statut de praticien adjoint contractuel (PAC, qui donne une certaine sécurité de l'emploi à l'hôpital) : nombre de candidats sont persuadés que la partie est pour eux perdue d'avance. « Ils pensent que, dans ce contexte politique, les jurys vont être influencés dans un sens de rejet », raconte un cadre du SNPAC (Syndicat national des PAC). Les organisations de praticiens à diplôme étranger ont reçu des appels de gens qui « se demandent s'ils ne vont pas quitter la France », ou d'autres qui cherchent un moyen « d'accélérer leur demande de naturalisation ». « Choqués », « inquiets », « étonnés », « surpris », parfois « apeurés », les médecins diplômés hors d'Europe se demandent encore quelle analyse ils doivent faire du scrutin du 21 avril. Beaucoup veulent y voir un « vote de contestation », une sorte d'accident de parcours sans grande signification. « Je ne peux pas concevoir une minute que la France soit favorable à Le Pen », affirme l'un d'eux, installé en ville depuis quelques années et qui se souvient que, quand il a vissé sa plaque, on lui a dit qu'il n'y arriverait pas, que les patients ne viendraient pas le voir parce qu'il s'appelle « Habib ». Or, explique-t-il, « c'est le contraire qui est arrivé ».
Ceux qui avouent subir parfois des discriminations plus ou moins ouvertes de leurs patrons, de leurs confrères ou des personnels hospitaliers disent aussi que la France leur a offert une place qu'aucun autre pays ne leur aurait donnée et veulent croire, pour le 5 mai, à un « sursaut civique et républicain ».
En attendant, dans leurs hôpitaux ou dans leurs cabinets, les médecins à diplôme étranger vont continuer à soigner leurs patients. Personne ne peut les empêcher de penser qu'un malade sur cinq a dû choisir l'extrême droite dimanche dernier. « Je voudrais bien que les patients, en passant entre nos mains, soient rassurés, qu'ils voient que les "étrangers" ne se résument pas aux problèmes des banlieues et qu'il y a des exemples d'intégration réussie », commente l'un d'eux.

Karine PIGANEAU

 

L'UMESPE dénonce  notion de « préférence nationale »

L'Union nationale des médecins spécialistes (UMESPE), qui regroupe les spécialistes de la CSMF, estime « inadmissible » le critère de la préférence nationale, appliquée notamment dans le domaine de la santé et de la protection sociale.
On sait que dans son programme de gouvernement, le Front national prévoit notamment la création d'une « caisse d'assurance-maladie spécifique, sur le modèle de la caisse des Français expatriés, pour les ressortissants étrangers ».
Il prévoit aussi que la « préférence nationale sera appliquée dans l'attribution des diplômes médicaux, le recrutement hospitalier et le droit d'établissement ».
Cette notion de préférence nationale, poursuit l'UMESPE, « est inadmissible, contraire à l'éthique médicale et en désaccord profond avec ce qui a conduit les médecins à s'engager dans cette profession ».
« Nous ne pouvions imaginer, quand (...) nous dénoncions le risque de rationnement des soins, que cette réalité allait se trouver confirmée dans le projet d'un candidat de la façon la plus insupportable qui soit », poursuit l'Union nationale des médecins spécialistes confédérés.
En même temps, l'UMESPE assure que « cette position, tout inacceptable qu'elle soit, ne vient pas de nulle part, mais s'inscrit dans une lente dérive politicienne. A force de considérer l'homme comme un bien marchand qui doit être régulé comme les fruits et légumes, les apprentis sorciers de cette logique comptable reposant sur des quotas, des lettres flottantes, ne peuvent être surpris d'avoir accouché d'un monstre ».
« Depuis toujours, avec la majorité des médecins et des patients, conclut l'UMESPE, nous condamnons cette dérive de soins. »