Médecins-paramédicaux : les vases
communicants du rapport Berland
Là où les médecins font défaut tandis
que la liste de leurs malades s'allonge, une solution pour garantir la bonne
prise en charge de tous est de transférer à certains paramédicaux - qu'ils
existent déjà ou qu'il faille les inventer - des tâches pour l'instant
exclusivement réservées au corps médical. En Europe ou en Amérique du
Nord, de nombreux pays ont déjà choisi cette option. Un rapport d'étape
remis vendredi au ministre de la Santé par le Pr Yvon Berland fait,
d'une manière très précise, le tour des transferts possibles dans une
France plus frileuse.
Le Pr Yvon
Berland, doyen de la faculté de médecine de Marseille, trace son sillon. Après
avoir rendu à la fin de l'année dernière un rapport à Jean-François
Mattei sur la démographie médicale, il examine à la loupe, toujours pour le
ministre, les possibles « transferts de tâches et de compétences »
entre médecins et paramédicaux, sur le modèle de ce qui existe déjà, par
exemple, entre les obstétriciens et les sages-femmes.
L'idée n'est pas neuve. Elle est une
solution à la pénurie présente ou annoncée de médecins dans certaines spécialités ;
le ministre de la Santé en a d'ailleurs fait une des principales pistes de
travail du tout neuf Observatoire national de la démographie des professions
de santé (installé en juillet et que préside, précisément, Yvon Berland).
Alors que les perspectives démographiques de telle ou telle spécialité sont
désormais bien connues, tout comme sont estimées les cohortes de malades
qu'il va falloir prendre en charge à court ou moyen terme le rapport d'étape
dont dispose Jean-François Mattei propose un inventaire très précis du « qui
peut déléguer quoi à qui ? ». Il le fait en se fondant sur
ce qui a déjà été expérimenté en France et surtout à l'étranger (voir
encadré), et en tenant compte de la préparation au changement des
professionnels concernés. Il le fait, aussi, avec une mise en garde :
les transferts de compétences ne sont pas « la » solution aux
problèmes que posent les sous-effectifs médicaux - ils permettront « de
faire face, en partie seulement, à la diminution annoncée de la démographie
médicale », écrit le Pr Berland.
Avant de dérouler la liste des tâches et compétences « transférables »,
l'auteur du rapport insiste : plusieurs garde-fous sont indispensables.
Ils concernent en particulier la formation des paramédicaux (qui doit la
plupart du temps être adaptée), la relation entre les médecins et les
acteurs paramédicaux (« le médecin qui transfère l'activité médico-technique
doit garder la responsabilité de la prescription et des actes »,
affirme le rapporteur), et la définition précise du nouveau champ de compétence
des paramédicaux. Cela étant posé, Yvon Berland entre dans le vif du sujet
et milite pour un certain nombre d'opérations. Parmi celles-ci :
• En imagerie médicale, le rapport propose que les
manipulateurs radio puissent, d'une part, faire office d'« échographistes »
pour certains protocoles et, d'autre part, effectuer l'exploitation
informatique des acquisitions (reconstruction en 3D, fusion d'images...)
de l'IRM, du scanner ou du PET-scan. Yvon Berland signale que « les médecins
radiologues et les manipulateurs en électroradiologie médicale considèrent
que le transfert de compétences existe déjà » et que la réglementation
est aujourd'hui « en décalage avec les pratiques ».
• En radiothérapie, un métier de « dosimétriste »,
lui aussi ouvert aux manipulateurs radio, doit être identifé.
• En ophtalmologie, c'est le transfert vers les orthoptistes - et
non vers les opticiens, écartés a priori parce que « chargés
de la vente » - d'un certain nombre d'actes (les mesures et la
réfraction, l'examen de la vision binoculaire, l'exécution d'un relevé de
champ visuel, l'information sur les examens à pratiquer, la participation à
l'adaptation des lentilles) qui est préconisé. D'après le Pr Berland,
les ophtalmos eux-mêmes considèrent ces délégations de tâches comme « indispensables »,
sauf à « assister à une organisation parallèle de la prise en
charge des troubles de la vue et, à terme, à de graves conséquences pour la
santé de nos concitoyens ».
• En chirurgie, le rapport plaide, sans aller plus loin, pour de
nouveaux transferts, libérateurs de « temps médical », entre les
chirurgiens et les infirmières de bloc opératoire (les IBODE). Aux
professionnels de débroussailler la question.
Voilà pour les transferts réalisables dans le paysage paramédical tel qu'il
existe aujourd'hui. Mais le Pr Berland ne s'arrête pas là. Il suggère
en effet de créer « de nouveaux métiers de soins » aptes
à décharger les médecins d'une partie de leurs charges. Il façonne ainsi
des « diététiciens de soins », des « coordonnateurs du
handicap », des « psychologues praticiens ». Surtout, il défend
l'invention ex nihilo - mais tout de même sur le modèle de ce
qui a été fait avec les IBODE ou les infirmières anesthésistes (IADE) -
des « infirmières cliniciennes spécialistes ». Ces
professionnelles, précise le rapport, « pourraient avoir différentes
missions ». Lesquelles ? Le Pr Berland en définit quatre :
la participation au suivi en consultation des maladies chroniques (« suivant
une procédure parfaitement établie par les médecins et en concertation avec
eux »), la coordination des examens de suivi et de reconduction, le
suivi de la bonne exécution des traitements et la surveillance de leur tolérance,
des interventions dans le domaine de la prévention, de l'éducation et du dépistage.
Six spécialités au moins pourraient « soulager » leurs
praticiens avec ces infirmières d'un nouveau type.
Le rapport cite la gastro-entérologie où, entre autres, la réalisation des
examens d'exploration fonctionnelle digestive pourrait glisser du médical
vers le paramédical. Il mentionne aussi la cardiologie où l'infirmière spécialiste
pourrait, en particulier dans le domaine de la prise en charge clinique des
pathologies cardio-vasculaires, s'occuper de l'éducation, du pronostic, du dépistage
ou de la coordination des réseaux de soins.
En néphrologie, les transferts pourraient concerner une partie du suivi des
malades ayant une insuffisance rénale chronique ou certains éléments de
surveillance des patients dialysés et des malades transplantés. En cancérologie,
l'exécution pratique de la chimiothérapie pourrait, par exemple, échoir aux
infirmières spécialistes.
En diabétologie, c'est une partie du suivi des patients diabétiques (éducation,
conseil et surveillance de paramètres simples) qui serait candidate au
transfert. En soins primaires, enfin, des infirmières cliniciennes spécialistes
pourraient participer, au sein des cabinets de groupe de médecine générale,
à la prise en charge des patients dans le cadre du conseil, de l'éducation,
de la prévention, du suivi de traitements.
Tout en annonçant que des expérimentations de transfert de tâches et de
compétences vont commencer « au cours du quatrième trimestre 2003 »,
Yvon Berland se montre très prudent pour tout ce qui concerne le passage de
ses propositions du papier au terrain. Il pose en particulier des « expérimentations
régionales ou locorégionales thématisées » comme préalable à
tout changement dans les constructions actuelles.
Karine PIGANEAU