Le Quotidien du Médecin du : 06/02/2004
La disposition législative voulue par Raffarin ne soulève pas l'enthousiasme
L'annonce par le Premier ministre d'une disposition législative
sur la laïcité dans les hôpitaux a fait réagir les acteurs du secteur. Si
certains y voient une aide pour les personnels soignants, la plupart estime
qu'une loi n'est pas adaptée à la réalité de l'hôpital.
EN PLEINE DISCUSSION à l'Assemblée nationale de la loi sur la
laïcité à l'école, le Premier ministre a annoncé à l'Assemblée son
intention de doubler cette loi par « une disposition législative »
précisant « le respect du principe de laïcité » dans les hôpitaux.
Une annonce qui doit sans doute beaucoup aux travaux de la commission Stasi sur
la laïcité, et notamment aux déclarations du directeur de l'hôpital
intercommunal de Montreuil, Claude Dagorn. Auditionné par les membres de la
commission, il avait alors indiqué : « Quand j'ai été sollicité
par la commission, je ne pensais qu'aux questions de personnel voilé. Mais
quand j'ai interrogé les soignants, j'ai découvert beaucoup d'autres choses
qu'ils géraient entre professionnels, sans interpeller l'institution ».
Certes, depuis quelques années, le monde hospitalier est confronté à l'arrivée
d'infirmières, d'externes ou d'internes voilées, surtout dans des zones géographiques
déterminées, comme l'Ile-de-France, le Nord et l'Est, alors même qu'un avis
du Conseil d'Etat du 3 mai 2002 interdit à « un agent de
l'enseignement public de manifester ses croyances dans l'exercice de ses
fonctions », avis confirmé par un jugement du tribunal administratif
de Paris du 17 octobre de la même année, et qui en étend l'interdiction
à tous les services publics.
Mais le problème soulevé par Claude Dagorn dépasse largement celui du
personnel soignant voilé, pour atteindre celui du monde des soignés :
femmes voilées refusant d'être auscultées par un homme, voire femmes
hospitalisées refusant tout contact avec des hommes, fussent-ils simples
aides-soignants ou personnel de restauration amenant les plateaux-repas.
C'est donc dans ce contexte que s'inscrit l'annonce faite par Jean-Pierre
Raffarin, qui s'exprimait dans la droite ligne du discours du 17 décembre
du président Chirac sur la laïcité. Le chef de l'Etat s'était alors prononcé
en faveur d'une loi empêchant qu'un patient puisse refuser « par
principe, de se faire soigner par un médecin d'un autre sexe ».
Des réactions contrastées.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'on retrouve sur ce
sujet les mêmes clivages que sur le projet de loi sur la laïcité appliquée
à l'école, et si certains saluent une loi nécessaire, une majorité de
soignants craignent qu'elle ne serve à rien, ou pire, qu'elle favorise l'émergence
de systèmes de soins confessionnels.
A la Fédération hospitalière de France (FHF), Emmanuelle Quillet, adjointe au
délégué général commence par préciser qu'à l'hôpital « le
principal problème ne tient pas à l'attitude du personnel soignant, mais à
celle de certains patients ». Selon Emmanuelle Quillet, on n'a jamais
vu un personnel soignant hospitalier refuser de soigner quelqu'un en raison de
son sexe, de sa race ou de sa religion, alors qu'à l'inverse certaines
patientes, ou leur mari, refusent parfois d'être auscultées par un médecin
homme. Pour la FHF, Jean-Pierre Raffarin a posé un principe, celui de la loi, « mais
il n'a encore rien dit des modalités pratiques. Le problème n'est pas tranché
pour nous car ce qui compte, c'est le contenu de la loi. Mais le personnel
hospitalier aurait sans doute besoin d'un soutien avec un texte s'adressant aux
patients ».
Une tonalité qu'on ne retrouve pas à la Générale de Santé, qui regroupe
130 établissements privés. Pour Martine Gidon, directrice de la communication,
ce projet de loi ne s'adressera qu'aux hôpitaux publics. « Au
demeurant, ajoute-t-elle, il n'y a jamais eu ce type de problème dans
nos établissements ; tout au plus avons-nous eu un ou le cas de deux
infirmières qui portaient le voile, mais tout s'est réglé par la discussion,
et elles ont accepté de travailler avec une charlotte (bonnet de bloc opératoire,
ndlr) ».
Parmi les syndicats de médecins hospitaliers, le clivage est encore plus net. A
la CMH, (Coordination médicale hospitalière), le président François Aubart
estime que « le libre choix du médecin par le malade est, certes, un
droit déontologique, notamment en psychiatrie, et il ne s'agit nullement de le
remettre en cause. Cependant, on observe parfois des dérives, notamment en obstétrique,
qui s'inscrivent dans des démarches communautaires ou confessionnelles, et cela
est absolument à proscrire. Il y a également certains patients qui, pour des
raisons confessionnelles, demandent des menus spéciaux qui peuvent poser des
problèmes de sécurité sanitaire aux hôpitaux. Il me semble donc que les éclaircissements
de la loi seraient nécessaires ».
Mais à l'Intersyndicale nationale des praticiens hospitaliers, la présidente,
Rachel Bocher, est d'un avis à peu près diamétralement opposé : « On
ne peut appliquer à l'hôpital les règles de l'école, car la démarche est
différente. Le patient qui est à l'hôpital, dans la majorité des cas, s'y
trouve dans une situation de maladie et donc de souffrance. On ne peut donc pas
décréter comme ça qu'il ne faut y faire que ce que la loi permet. D'autant
que, dans le cas des femmes qui refusent d'être soignées par un homme, ça ne
pose pas de problème insurmontable dans la mesure où nous disposons presque
toujours d'équipes mixtes, pour que chacun y trouve son compte. »
Rachel Bocher craint de surcroît que l'application stricte de ces principes de
laïcité à l'hôpital n'entraîne un départ de ces patient(e)s vers des établissements
privés et confessionnels : « N'oublions pas qu'on a deux systèmes »,
ajoute-t-elle. De plus, Rachel Bocher redoute que les problèmes évoqués ne
soient surévalués : « Il n'y a aucune évaluation sérieuse de
l'importance de ces problèmes. Faisons sereinement cette évaluation chiffrée,
on verra alors. »
Le petit bout de la lorgnette.
Dans les fédérations de personnels, on est plutôt sceptique
quant à l'utilité d'un dispositif législatif spécifique à l'hôpital. A la
CGT, Nadine Prigent craint qu'on ne prenne le problème « par le petit
bout de la lorgnette : c'est vrai qu'on a parfois des problèmes
avec des patients, mais l'hôpital est un lieu où leur intimité est déjà
mise à mal, alors, s'il faut en plus légiférer... ». Nadine Prigent,
qui a longtemps travaillé dans des services de réanimation, affirme qu'avec
l'ensemble des équipes ils ont toujours « cherché le respect des
convictions des patients et de leur famille, et beaucoup de problèmes peuvent
être résolus simplement par le dialogue ». Selon elle, il ne
faut pas se focaliser sur ces problèmes de patients, sauf à se pencher aussi
sur les problèmes posés par certains médecins : « En matière
d'IVG, il y a des médecins qui refusent de la pratiquer par conviction
personnelle ou religieuse, qu'est-ce que la loi va faire à ce sujet ? »
A FO Santé, la tonalité n'est guère différente, et Luc Delrue estime qu'il
n'y a pas lieu de mettre en place une loi spécifique, « il suffit de
s'en tenir à l'esprit de la loi de 1905 ». « De toute façon,
ajoute-t-il, si une patiente refuse à tout prix de prendre le risque de
se faire ausculter par un homme, croyez-vous qu'elle ira à l'hôpital ?
Non, elle ira dans un établissement confessionnel ». Enfin, last
but not least, à la Fédération des praticiens de santé (FPS), qui
regroupe des médecins à diplôme étranger, l'idée de légiférer sur l'hôpital
ne déclenche guère plus d'enthousiasme. Pour son délégué général,
Hani-Jean Tawil, chirurgien de son état, « on ne souhaite pas une loi
spécifique à l'hôpital, il vaudrait mieux des recommandations, ou, à la
rigueur, une circulaire, sinon, on va mettre le feu aux poudres et compliquer la
vie des hôpitaux ».
Pour Hani-Jean Tawil, « la médecine est universelle, et les soins
doivent l'être aussi ; il ne viendrait à l'esprit d'aucun médecin de
refuser un patient pour des raisons de race, de religion ou de sexe, les
patients doivent en faire autant. Nous, médecins étrangers, conclut-il,
nous avons fait des efforts pour nous intégrer, nous souhaitons que les
patients en fassent autant ».
HENRI DE SAINT ROMAN