A la une / Le Quotidien du Médecin du : 16/06/2004

Les médecins étrangers vers l’intégration / Intégration des médecins à diplôme étranger.

La nouvelle procédure de recrutement est plutôt bien accueillie
 

La nouvelle procédure de recrutement des médecins à diplôme étranger était attendue depuis plusieurs mois par les 3 000 praticiens intéressés. Le texte prévoit une fois par an l’organisation d’épreuves de vérification des connaissances et de la langue française. C’est un nouveau pas vers l’intégration de médecins en situation souvent illégale dans les hôpitaux. Les syndicats, ravis en général de cette avancée, restent cependant prudents, car tout n’est pas réglé

Sa publication se faisait attendre depuis 1999 : le décret qui met en place la nouvelle procédure de recrutement des médecins diplômés hors de l'Union européenne vient de paraître. Un pas vers l'intégration pour les trois mille praticiens en situation illégale dans nos hôpitaux. Les syndicats, ravis de cette avancée, se montrent néanmoins prudents, car des questions restent en suspens.
 

ENFIN le bout du tunnel pour ceux qui luttent afin que la France reconnaisse et intègre les centaines de blouses blanches qui travaillent sans statut dans ses hôpitaux ?
Dès l'annonce de sa publication au « Journal officiel », les syndicats ont salué la sortie du décret qui crée une procédure de recrutement et d'autorisation d'exercer pour les médecins diplômés en dehors de l'Union européenne.
« On se félicite de cette publication. Depuis 1999, où la loi sur la CMU prévoyait la création au plus tard en 2002 d'une nouvelle procédure, on n'a pas lâché le morceau : c'est donc l'aboutissement de cinq ans d'efforts », résume le Dr Hani Jean Tawil, délégué général de la Fédération des praticiens de santé (FPS).
Sont concernés par la réforme les trois mille praticiens en situation illégale que compte la France, mais aussi tous ceux qui arriveront sur notre territoire une fois la nouvelle procédure lancée.
Le décret prévoit l'organisation, une fois par an, d'épreuves de vérification des connaissances. Première session en mars 2005, pour une prise de fonction en mai suivant. Les inscriptions se dérouleront en septembre prochain. La FPS est convaincue par avance du succès de cette nouvelle procédure de recrutement auprès des médecins en attente de régularisation : elle s'attend à environ 2 000 candidats dès la première année.
Les candidats dont le dossier aura été retenu passeront trois épreuves écrites et anonymes (vérification des connaissances fondamentales, vérification des connaissances pratiques, maîtrise de la langue française). Un jury national composé de professeurs et de praticiens hospitaliers corrigera les copies. Sont éliminatoires une note inférieure ou égale à 6/20 et une moyenne inférieure à 10/20. Le ministère de la Santé fixera chaque année par arrêté les spécialités concernées et le nombre de postes ouverts par spécialité. Un autre arrêté énumérera les services où seront créés les postes, en fonction des besoins.
 

Questions encore sans réponses.
Les candidats reçus dans la limite des quotas choisiront leur affectation en fonction de leur classement, à la manière du concours de l'internat ; ils devront y effectuer trois années de fonctions hospitalières en tant qu'assistant (certains justifiant d'une expérience antérieure pourront toutefois être dispensés de ce stage). A l'issue de ces trois années, une commission décidera d'attribuer ou non l'autorisation d'exercer sur la base d'un rapport d'évaluation remis par le chef de service.
Si elle insiste sur l'importance de la publication de ce décret tant attendu, la FPS s'inquiète, car plusieurs questions restent sans réponse. En 2005, combien de postes seront ouverts ? Dans quelles spécialités, dans quelles régions ? Les représentants du syndicat devaient être reçus hier soir par un conseiller du ministre de la Santé pour en savoir plus.
Dans l'attente de ces précisions, le Dr Jamil Amhis, qui préside la FPS, tient un discours prudent et nuancé. Il résume ainsi les craintes de ses collègues : « Quelque part, nous ne sommes pas dupes. Nous savons bien que la nouvelle procédure s'inscrit dans une politique générale de régulation démographique et de fermeture de lits. »
Les médecins étrangers refusent d'être la variable d'ajustement d'un système de santé en souffrance. Ils craignent que le dispositif ne se limite aux spécialités qui rencontrent des problèmes démographiques, chirurgie et anesthésie en tête. « On a peur qu'aucun poste ne soit ouvert en endocrinologie ou en dermatologie, par exemple, poursuit le Dr Amhis. Nous ne voulons pas d'une filière passe-droit, mais nous voulons que toutes les spécialités soient concernées, au moins les trois premières années. » Les médecins étrangers craignent aussi, en cette période de fortes restructurations hospitalières, que cette nouvelle procédure de recrutement contribue indirectement à remodeler l'offre de soins sur le territoire français. « Va-t-on réguler les fermetures de services par notre biais ? se demande le Dr Amhis, qui pense surtout aux petits hôpitaux de campagne. Prenons l'exemple d'un établissement où les urgences sont tenues par trois attachés. Si les trois sont reçus au concours et partent ailleurs, il est probable que leur départ entraîne la fermeture de ces urgences : nous refusons cela. »
La FPS devait présenter trois requêtes hier au ministère. Elle demande que les praticiens reçus soient autorisés à s'inscrire au tableau de l'Ordre de leur profession. Elle souhaite la suppression d'un des deux quotas prévus (à l'entrée, chaque spécialité se voit attribuer un nombre précis de candidats admissibles et, à la sortie, la commission décide du nombre de candidats autorisés à exercer la médecine en France). Enfin, elle réclame un aménagement de la procédure pour certains praticiens : « Les 197 titulaires d'un Csct (certificat de synthèse clinique et thérapeutique) et les 500 qui ont eu le DIS (diplôme interuniversitaire de spécialisation)  devraient être hors quota et dispensés des épreuves écrites », affirme le Dr Tawil.
Un souhait que partage une psychiatre de 45 ans, d'origine étrangère, qui a été reçue à l'écrit et à l'oral du Csct sans avoir obtenu l'autorisation de travail : « Je trouverais injuste d'avoir à refaire mes preuves, alors que j'ai déjà prouvé que je suis capable, dès lors que j'ai obtenu mon équivalence et mes diplômes français », dit-elle.
Que pensent les praticiens hospitaliers en situation « régulière » de cette innovation ? Le Dr François Aubart, qui préside la CMH (Coordination médicale hospitalière), accueille positivement la « normalisation » de ses confrères. Ce chirurgien orthopédique y voit aussi un autre intérêt. « Avec ce nouveau label de compétences validé, la chirurgie française va devenir attrayante, pense-t-il. J'espère que cela attirera des chirurgiens extracommunautaires de qualité, avec un projet professionnel particulier. »
Le président du Snam-HP (Syndicat national des médecins des hôpitaux) émet pour sa part deux réserves. « J'aurais aimé que le stage de trois ans soit obligatoire pour tous », quelle que soit l'ancienneté des candidats dans le système français, dit le Pr Roland Rymer, qui regrette aussi l'absence de suivi pédagogique du stage par la commission. « Je ne voudrais pas que ces praticiens se retrouvent perdus dans la nature pendant trois ans, dans des services où ils sont mal encadrés et où ils servent de bouche-trous », précise le Pr Rymer.
 

 DELPHINE CHARDON