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L'Editorial du 26 avril 2001 - Diplômes « bonux » ? Corvéables à merci !
Il ne suffit pas toujours d’avoir fait la fac de médecine et prêté le serment d’Hippocrate pour exercer normalement son métier. Selon les pays la législation impose un certain nombre de règles dont les origines se perdent parfois dans les brouillards de l’Histoire. En France par exemple, trois conditions sont exigées au médecin prétendant à l’exercice  : avoir la nationalité française ou être ressortissant d’un état membre de l’Union européenne, avoir un diplôme français ou estampillé UE et avoir son inscription au tableau de l’Ordre après avoir prêté serment. Contourner cette règle gauloise est un véritable parcours du combattant semé d’embûches, injustices et discrimination.

La voie la plus récente est celle ouverte par Simone Veil en 1995 afin de régulariser le statut des médecins étrangers de plus en plus nombreux à exercer dans les hôpitaux français, non seulement dans des conditions souvent médiocres dues à la précarité et aux bas salaires, mais aussi en dehors de tout cadre légal. L’article 3 de la loi du 4 février de cette année là donnait ainsi naissance au « fameux » et fragile PAC. Quatre ans plus tard l’article 60 de la loi du 27 juillet 1999 instituant l’indispensable Couverture Médicale Universelle a abrogé d’un coup de baguette textuelle les dispositions précédentes. Conséquence : les dernières épreuves nationales d’aptitude des « Praticiens Adjoints Contractuels » seront organisées, sauf changement, avant le 31 décembre 2001.

La voie la plus ancienne est celle de l’« autorisation individuelle d’exercer la médecine en France » destiné aux médecins ne répondant pas à la triple condition précitée. Instituée par une loi de juillet 1972 plusieurs fois remaniée depuis elle prévoit un nombre limité d’autorisations annuelles soumises à des quotas fixés par arrêté du Ministère de la santé. Pour mémoire, après avoir subi des épreuves écrites et orales et le jugement des commissions ad hoc, il était autorisé à exercer en s’inscrivant au tableau de l’Ordre mais uniquement en tant que généraliste. Pour exercer sa spécialité c’était une autre paire de manches. En tout cas l’arrivée de la CMU a aussi balayé ce labyrinthe légal.

A partir du 1er janvier 2002 d’autres voies seront disponibles pour les médecins à diplôme étranger. Elles ne sont pas pour autant moins sinueuses et le « péage » reste élevé. Aujourd’hui plus de 8.000 MDE exercent en France et certains ont réussi à avoir un traitement équitable en fonction de leurs compétences. Pour beaucoup d’entre eux néanmoins la régularisation sera un vrai casse tête, alors que le numerus clausus reste bloqué et la pénurie de certains spécialistes dans les hôpitaux est de plus en plus criante.

Dr. Marco Dutra
Rédacteur en chef

 

Pierre-Haenel                                     « La régularisation ne se justifie plus »

La situation des médecins à diplôme étranger en France a fait l’objet depuis 1995 d’un certain nombre de dispositions législatives visant à régulariser leur situation. Pierre Haenel est secrétaire général de l’Ordre des médecins : il fait le point sur la situation actuelle et s’interroge sur l’avenir de ces médecins.

Pouvez-vous dresser un panorama succinct des différentes possibilités d’exercer la médecine en France pour les médecins à diplôme étranger aujourd’hui ?

Depuis 1995,  les médecins à diplôme étranger ont la possibilité de devenir PAC, praticien adjoint contractuel 1 : cette voie concerne les médecins étrangers qui avaient déjà une pratique hospitalière dans les hôpitaux publics. D’autre part, les médecins étrangers peuvent bénéficier d’une autorisation individuelle d’exercer qui date de la loi de 1972. C’est l’article L 41-11-1 du code de sécurité sociale, ancien article L.356 du code de la santé.  Le candidat passe devant une commission ad hoc, à condition d’avoir obtenu le CSCT [épreuves écrites et orales]. Cette commission émane du ministère et accorde les autorisations en fonction de quotas établis par le ministère et en fonction des besoins et du nombre de dossiers. Plus récemment, l’article 60 de la loi sur la CMU de juillet 1999 permet d’accorder une autorisation individuelle d’exercer qui permet en dehors de tout quotas de nommer des médecins à diplôme étranger qui peuvent par la suite travailler en libéral. 

La possibilité ouverte par la loi de 1972 va s’éteindre à la fin de l’année 2001. Parallèlement, les dernières épreuves de PAC sont organisées cette année. Pourquoi supprimer ces différentes possibilités d’exercer en France pour les médecins à diplôme étranger ?

Avec ces lois, il s’agissait de régulariser la situation de beaucoup de médecins travaillant dans les hôpitaux. Depuis l’adoption de la loi du 27 juillet 1999 sur la CMU,  les hôpitaux ne peuvent plus recruter des médecins à diplôme étranger. Il n’y a donc plus besoin de les régulariser. En principe, les médecins étrangers vont pouvoir venir se perfectionner en France, dans le cadre de leur formation. Vont-ils retourner dans leur pays ? C’est un autre problème. Si le statut de PAC a permis de régulariser la situation des médecins à diplôme étranger, c’est une chose. Mais si tous les MDE ont été régularisés, la régularisation ne se justifie plus. Toutes ces dispositions ont été prises dans ce but et c’est normal : on avait fait venir à l’époque des médecins étrangers pour faire tourner les services hospitaliers, sans statut. Certains d’entre eux étaient restés après leurs études. Le statut de PAC a été une réponse partielle, peut-être imparfaite, mais une réponse quand même à la situation de ces médecins.

Quelle est l’inquiétude de l’Ordre ?

L’Ordre n’a aucune inquiétude à ce sujet. Tous les médecins ont été enregistrés au tableau de l’Ordre. Ils sont assimilés aux médecins, comme les autres. Il peut y avoir des problèmes avec leur qualification. Certains travaillent dans des services, sans être reconnus comme spécialistes. C’est un problème car ils travaillent dans les hôpitaux depuis 4 ou 5 ans et effectuent des actes de spécialistes.  Mais ils ont parfois échoué à leur qualification et certains ne comprennent pas. Le taux de réussite des médecins étrangers est équivalent à celui des médecins non étrangers. 

Vous connaissez les griefs qui ont été portés à l’encontre des commissions de qualification…

Les commissions de qualification sont des commissions qui ne sont pas ordinales mais dont nous assumons seulement l’administration. Elles sont présidées et dirigées par des universitaires qui accordent ou non les qualifications. On ne peut pas imaginer que ces médecins ne passent pas en commission pour obtenir ces qualifications.

Quels sont les critères ?

On vérifie la qualification initiale, l’exercice individuel. Il est vrai que quelques commissions ont posé des difficultés comme celle de la radiologie. Il y avait des difficultés de compréhension du mécanisme de la qualification, du côté de la commission. J’espère que ça n’a plus cours. Je n’ai plus reçu de plaintes.

Les jeunes médecins à diplôme étranger en France ne remplissent pas les conditions pour se présenter aux épreuves de PAC ou du CSCT. Que va-t-il se passer pour ces personnes ?

Je ne sais pas. Rien n’est prévu, il y a un véritable vide juridique. On ne sait pas très bien quel sera leur avenir. Je n’ai pas d’idées là-dessus. Il faudra aussi tenir compte de ceux qui restent après leur formation. Mais vous n’avez pas évoqué la situation des médecins étrangers intra-communautaire : pour eux, il n’y a aucun problème, aucune difficulté pour exercer en France. Mais un médecin régularisé en France ne pourra migrer en Allemagne par exemple. L’Union européenne devra se pencher là-dessus.

Propos recueillis par Céline Bergès



1 article 3 de la loi n° 95-116 du 4 février 1995, aujourd’hui abrogée par la loi sur la CMU de juillet 1999.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Statut des MDE : entre archaïsmes historiques et xénophobie

Comme chacun le sait, pour être médecin en France, il faut pouvoir satisfaire à une triple condition : être de nationalité française, avoir un diplôme français et s’inscrire à l’Ordre des médecins après avoir prêté serment. Les médecins étrangers, mais aussi les médecins français qu’ils soient naturalisés et/ou qu’ils aient obtenu leur diplôme à l’étranger, se voient ainsi dans l’obligation de franchir une série d’obstacles pour exercer leur métier en France. Bien que des conditions législatives récentes aient confirmé ces dispositions -  tout en y amenant un certain nombre d’aménagement permettant à des médecins étrangers de travailler dans certaines conditions - ces mesures sont les fossiles des périodes les plus sombres de l’histoire française.

C’est en 1892 que les médecins obtiennent les premières limitations à l’accès à leur profession, emboîtant le pas aux avocats qui obtinrent dès 1810 un décret pour protéger l’accès de leur métier des candidats étrangers. Les médecins qui ne disposent pas de diplômes français se voient interdire l’accès à la profession, tout comme les dentistes et les sages-femmes d’ailleurs. Le système des équivalences devient en outre caduque. 

Dans les années 30, alors que la montée de la xénophobie en France se confirme, l’accès à l’exercice de la médecine se restreint encore pour les étrangers. Groupe social bien représenté dans la vie politique de la IIIème République, disposant de groupes de pression efficaces, les médecins mettent en avant « l’intérêt du public » ou encore en 1931 la nécessité d’être « capable de comprendre les finesses et les délicatesses de notre race, capable aussi de les assimiler » pour justifier leurs demandes. Les médecins d’alors insistent sur le coût de l’enseignement prodigué aux étudiants étrangers, la plupart d’origine roumaine, russe ou polonaise : en 1930, sur les 26 200 médecins, 750 n’ont pas la nationalité française et 3870 étudiants en médecine sont étrangers ! Face à des chiffres aussi faibles, on mesure combien la thèse de « l’envahissement » ne peut être qu’un prétexte.  Le 21 avril 1933, le lobby des médecins français obtient pourtant gain de cause. La loi Armbruster est votée : non seulement les médecins doivent disposer d’un diplôme français mais ils doivent aussi posséder la nationalité française.

Terreau fertile
La crise économique qui sévit dans le pays fournit un terreau fertile aux idées xénophobes. Le 10 janvier 1935, René Demange, député, dépose une proposition de loi révélatrice de l’état d’esprit d’alors : il propose l’interdiction de la médecine aux personnes naturalisées françaises pendant dix années après leur naturalisation. Pour le rapporteur Louis Rolland, le médecin « doit être adapté au milieu dans lequel il exerce ». Cette interdiction d’exercer pour les naturalisés est un service qu’on leur rend puisqu’elle les aide « à se pénétrer davantage de l’esprit et du tempérament national ». Outre une incapacité d’exercice pour les naturalisés, la loi du 26 juillet 1935 et le gouvernement Laval vont encore plus loin en instituant les « quatre piliers d’incorporation des étrangers à la profession médicale » : avoir accompli son service militaire ; en cas de réforme du service, attendre durant une période égale au service avant d’exercer, en cas d’exemption du service en raison de l’âge, le temps d’attente est double ; délai de cinq ans pour postuler dans la fonction publique médicale à compter de la naturalisation. 

Le régime de Vichy renforce cette tendance : la loi du 16 août 1940 réserve aux citoyens nés de père français l’accès aux professions médicales. L’ordonnance de 1944 rétablit la légalité républicaine. Le décret de 1951 marque une ouverture du corps médical face aux étrangers : l’équivalence des titres est à nouveau admise pour l’inscription au diplôme de docteur d’une université française mais elle ne l’est pas pour l’inscription au diplôme d’Etat. Parallèlement, les dispositions pour exclure les médecins étrangers de la profession perdurent. 

La persistance de ces archaïsmes sont d’autant plus surprenants que la position de l’Ordre est relativement ouverte sur ce sujet. S’il se montre très attaché à la condition du diplôme français, gage selon lui de qualité et d’égalité de traitement, le Conseil de l’Ordre ne défend pas la condition de nationalité. Si l’on en croit le rapport du cabinet Bernard Bruhnes Consultants, Les emplois du secteur privé fermés aux étrangers , rapport établi pour la Direction des Populations et des Migrations du Ministère de l'Emploi et de la Solidarité en novembre 1999, « les représentants professionnels ne semblent pas particulièrement attachés au maintien de la condition de nationalité (…) C’est le cas, en particulier du Conseil de l’Ordre des médecins. Rien ne justifie aujourd’hui, selon son président, une telle restriction si ce n’est des raisons d’ordre historique ou idéologique. Au contraire, il est choquant qu’un médecin étranger titulaire d’un diplôme français ne puisse pas automatiquement exercer en France. » On se demande alors où réside le blocage.

Céline Bergès


Sources

Immigration, emploi et chômage. Un état des lieux empirique et théorique. Les dossiers de CERC-Association n°3, 1999. ISSN 1280-0341

Les emplois du secteur privé fermés aux étrangers. Rapport final, novembre 1999. Bernard Brunhes Consultants. Yves Chassard, Véronique Singer, Natacha Bletry, Tatiana Sachs . Ministère de l’emploi et de la solidaritéDirection de la population et des migrations.

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La discrimination au cœur de l’exercice médical

Le 20 avril dernier, Elisabeth Guigou organisait une table ronde sur les discriminations organisées, autrement dit sur les emplois fermés aux ressortissants extra-communautaires. Les professions médicales étaient à l’ordre du jour. L’occasion de faire le point sur le type de discrimination que subissent les médecins à diplôme étranger (MDE).

Pour le collectif d’associations de défense des droits des étrangers et de syndicats qui s’élève contre ces emplois fermés, dans le public comme dans le privé, il n’y a pas de doutes à avoir : « des gens à diplôme étranger se voient interdire la profession de médecin à titre libéral ou même salarié et dans le même temps on considère qu’ils peuvent exercer dans des conditions précaires. Il y a deux solutions : ou les médecins à diplôme étranger ont des diplômes ‘bonux’ et donc ils ne peuvent pas exercer la médecine en France. Ou bien on reconnaît qu’ils sont médecins et dans ce cas ils ont les mêmes droits que tout le monde. Une personne qui fait les gardes de nuit, qui fait le même boulot que son collègue mais n’a pas les mêmes perspectives de carrière ni un salaire égal : c’est de la discrimination » explique Antoine Math, le représentant du GISTI, le Groupe d’information et de soutien des immigrés, membre du collectif. « Au nom de quoi on a accepté de leur confier cette responsabilité sans leur reconnaître la possibilité d'exercer en tant que telle. Il y a un paradoxe entre l’utilité et la reconnaissance de ces personnes dans le cadre d’exercice de cette profession. Ils font l’objet d’une discrimination » renchérit Mouloud Aoulit du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié des peuples (MRAP), association membre du même collectif.

Position incohérente
« Paradoxale, infondée, injuste » selon ce dernier, la situation des médecins à diplôme étranger est pour le moins surprenante et révèle l’incohérence de la position du gouvernement. Alors que d’un côté Elisabeth Guigou affiche sa volonté de lutter contre les discriminations, de l’autre les textes de loi légalisent la différence de traitement qui provoque des situations intolérables. Et Antoine Math de présenter le cas d’un étranger extra-communautaire, étudiant la médecine en France. Celui-ci passe avec succès le DIS, diplôme de spécialisation pour les étrangers. Entre temps, il rencontre une femme – française – avec qui il se marie et a un enfant. Une histoire somme toute banale si ce n’est que cette personne ne peut exercer son métier en France, son diplôme étant tout point identique aux diplômes français, mais délivré à des étrangers  ! « Ces gens-là qui ont tout appris en France, fait leurs stages et passé leurs examens en France, quand bien même ils deviennent Français entre temps, ne peuvent exercer la médecine en France » regrette-t-il. « Il ne faut pas être hypocrite, il faut mettre les choses sur la place si on veut s’engager contre le racisme et la discrimination. Il est indispensable qu’on mette tout sur la table si on veut donner un sens à la lutte politique de la mise en acte contre le racisme qu’est la discrimination » rappelle Mouloud Aoulit. 

Les problèmes à mettre sur la table ne manquent pas concernant les MDE. Et notamment concernant les salaires. Si l’AP-HP précise que « d’après la circulaire DH/PM n°98-410 du 6 juillet 1998 relative aux gardes et astreintes des praticiens adjoints contractuels, ils [les PAC] possèdent la plénitude d’exercice aussi bien dans les établissements publics de santé que dans les établissements privés participant au service public hospitalier et peuvent donc participer à la garde ‘senior’. Ils sont donc rémunérés comme les médecins français », tout ne semble pas aussi simple.

Mohamed Ettahiri du Comité des médecins à diplôme étranger, rappelle à ce propos que « le salaire des PAC n’atteint pas le premier échelon de PH. Il est inférieur de 45 % alors que le travail effectué est le même. Pour les assistants associés ou les attachés associés, les gardes sont payées 1250 F au lieu de 1520 F ». Propos confirmé par Hani-Jean Tawil, président du SNPAC : « ils ont les mêmes fonctions et les mêmes responsabilités que les spécialistes mais sont payés 40 % de moins ». « Mon salaire est ‘garde-dépendant’ comme nous l’appelons compte tenu que les gardes représentent 50 % de ce que je gagne » estime Elvira Bogossian, anesthésiste. « Un médecin spécialiste attaché est payé à la vacation : 270 F brut. Ils ont la possibilité de faire 11 vacations par semaine. A travers cette précarisation, cet étranglement, les médecins étrangers sont obligés de se replier sur les gardes, aujourd’hui à 1200 F brut. Nous, nous voulons l’égalité : 1520 F » martèle Amine Benyamina, porte-parole du Syndicat Médical Plus.

Le statut de PAC reste précaire. « Contrat administratif précisant la nature des fonctions occupées ainsi que les obligations de services » selon l’AP-HP, le PAC est un contrat de trois ans, renouvelable. « Le statut de PAC me donne la possibilité d’exercer dans le libéral mais seulement la médecine généraliste. ce qui est paradoxal car je suis anesthésiste, pas médecin généraliste. A partir du moment où on me remercie à l’hôpital, je pourrais aller dans le libéral » souligne Elvira Bogossian. Même spécialisés et reconnus comme tels, les MDE ne peuvent en effet exercer cette spécialisation dans le privé.

Pommes de discorde
Les spécialisations justement sont une autre pomme de discorde (voir l'interview de Pierre Haenel). Pour le SNPAC, le rôle des commissions qui accordent la spécialisation aux MDE est contestable : « les règles d’attribution de la qualification changent tout le temps, selon les commissions. La commission des radiologues a déclaré dans un premier temps qu’elle ne voulait pas donner la qualification comme radiologue parce que les candidats n'étaient pas praticiens hospitaliers. Ils sont devenus PH et les jurys n’ont toujours pas voulu accorder la qualification. Ce type de décision est une remise en cause de la décision du jury de PH. On veut un cadre fixe pour ces gens-là car, sinon les critères changent. » Elvira Bogossian, elle, estime avoir de la chance parce qu’elle fait « partie des rares personnes à avoir obtenu la qualification. Depuis 12 ans, je travaillais comme anesthésiste sans ma spécialisation soient officiellement reconnue, même si depuis 96, je suis inscrite sur la liste d’aptitude à la spécialisation ». « Il y a des spécialités qui jouent le jeu, d’autres qui ont une position étanche, qui fonctionnent comme une principauté au milieu de la médecine. » approuve Amine Benyamina.

Bref, le statut de PAC n’est pas de tout repos, d’autant plus que l’accès aux postes de PH ne va pas de soi. Interrogée sur les moyens dont dispose les hôpitaux pour appliquer le protocole signé le 13 mars 2000, l’AP-HP ne cache pas que « en effet, pour le Ministère de la Santé, les PAC reçus au concours de PH ont vocation à postuler sur les postes de PH vacants qui demeurent nombreux en particulier en Province après chaque tour annuel de recrutement. Ainsi en 2000, sur 3491 postes de PH publiés, seulement 1900 ont été pourvus. Concernant la répartition de l’enveloppe pour la transformation des postes de PAC en PH, il est probable que les CHU et l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris en particulier ne soient pas considérés comme prioritaires compte tenu d’un nombre d’emplois vacants inférieurs à la moyenne. » 

Ce qui n’augure rien de bon pour les PAC souhaitant devenir PH. Autre aberration, la situation de ces chirurgiens ‘ancien régime’ qui bien qu’ayant passé leur diplôme en France ne peuvent exercer dans les mêmes conditions que leurs collègues : « j’enseigne, j’encadre, je transmets le savoir-faire. Mais c’est un pseudo statut créé de toutes pièces tout en utilisant les gens. J’opère tous les jours, je sauve des vies humaines. Mais au niveau de mon statut, je suis inexistant. (…)Ce qui est inconcevable sur le plan humain, c’est que ces hommes et ces femmes ont passé les meilleures années de leur vie sur des sites les plus difficiles et ils ont toujours été là quand on a eu besoin d’eux. » déplore l’un d’entre eux.

Bernard-Kouchner
« Le Ministre ne souhaite pas communiquer sur ce sujet pour le moment »
Le service de communication
du Ministère, interrogé par MedHermes sur l'évolution du statut des MDE

Que dire enfin des MDE qui ne remplissent pas les conditions pour se présenter au PAC ou qui auront échoué à leur examen ? Leur avenir est plus qu’incertain. Aucune disposition n’étant prise pour le moment (voir Interview), ils se trouvent dans un véritable cul-de-sac. Hani-Jean Tawil estime que 2500 MDE sans statuts vont rester sur le carreau. Certains de leurs collègues sont aussi dans une attente interminable. Un MDE, 30 ans, diplômé dans son pays en 98, ne répond pas aux critères pour accéder au PAC et s’inquiète pour son avenir. Après avoir passé avec succès le CSCT en 2000, il attend toujours une réponse, positive ou négative, de la commission ad hoc du ministère. Bien que ces compétences techniques aient été reconnues par l’obtention de cet examen, il ne peut exercer, si ce n’est sous forme de stage non rémunéré dans des services désertés. La réponse peut se faire attendre des années. « On est des bouche-trous » déclare-t-il, « les hôpitaux profitent de la situation et nous sommes sous-payésMais est-ce que les syndicats s’intéressent aux jeunes MDE qui ne remplissent pas les conditions pour passer le PAC ?». 
De son côté, interrogé par Medhermes sur ces problèmes, le Ministère délégué à la Santé a fait savoir qu’il ne « souhaite pas communiquer sur ce sujet pour le moment ». 

Céline Bergès

 

MedecinsEtrangers_blc                             MDE : un statut précaire, un avenir incertain

Depuis 1999, l’article 60 de la loi du 27 juillet 1999 portant sur la CMU régit le statut des PAC. Cette loi fait suite à la loi du 4 février 1995, au travers de laquelle Simone Veil souhaitait régulariser la situation des Médecins à diplôme étranger, travaillant en France, dans des conditions précaires, mal payés et sans réel statut.

L’article 3 de la loi de 1995 permettait donc à un MDE qui justifiait d’un exercice d’au moins trois ans dans un établissement public ou privé participant au service public, dont la valeur du diplôme avait été reconnue par le ministère compétent, de se présenter à des épreuves nationales d’aptitude. S’il réussissait, il était autorisé à exercer dans le cadre d’un contrat, sous l’autorité d’un chef de service, dans un établissement désigné. Son inscription à l’Ordre se faisait dans une catégorie spéciale : toute rupture de contrat entraînait sa radiation de l’Ordre.

La loi de 1999 est venue apporter quelques améliorations, sans pour autant résoudre tous les problèmes. Cette loi donne enfin un statut à ces étrangers, même s’il est imparfait. Les conditions d’accès au PAC n’ont pas changé, mais les MDE reçus au PAC sont désormais inscrits au tableau général de l’Ordre. Au bout de trois ans d’exercice, ils peuvent obtenir une autorisation ministérielle hors quota et s’inscrire au concours de praticien hospitalier. La loi fixe un délai, 2003, au-delà duquel les intéressés ne pourront plus bénéficier de ces autorisations. L’article 60 de cette loi établit que les dernières épreuves de PAC seront organisées cette année. Quant aux médecins étrangers non PAC en poste depuis 6 ans, ils pourront solliciter, deux fois maximum, une autorisation ministérielle individuelle hors quota.

L’autre possibilité mais qui s’éteindra également cette année pour un médecin étranger d’exercer en France, c’est d’avoir recours à la loi de 1972 (L4111-1 du code de la santé) : celle-ci autorise le ministère à prévoir un certain nombre d’autorisation d’exercer en fonction de quota, si la valeur scientifique des diplômes des candidats est reconnue et s’il ont réussi les épreuves orales et techniques du CSCT. Une fois reçus, ces médecins ne peuvent exercer que la médecine générale, à moins qu’ils ne disposent d’un diplôme étranger de spécialité et qu’ils passent devant des commissions ordinales pour obtenir une qualification. Tenant compte de quotas, cette autorisation administrative peut se faire attendre parfois des années après avoir obtenu le CSCT. 

L’article 60 de la loi du 27 juillet 99 fixe donc de nouvelles règles de jeu. Elle prévoit notamment le cas des apatrides, des réfugiés, des bénéficiaires de l’asile politique et des personnes françaises titulaires d’un diplôme étranger et ayant regagné la France à la demande des autorités qui ne sont pas soumis à ces conditions restrictives. Les médecins ressortissant de la Communauté européenne ne sont pas et n’ont jamais été concernés par ces mesures : ils peuvent s’installer librement en France même s’il faut mettre un bémol à cette liberté de circulation intra-européenne, comme le souligne une Belge exerçant en France : « il existe une équivalence des niveaux d’études mais pas des niveaux intermédiaires d’études. Le concours d’internat est accessible aux gens de la CE après trois ans de pratique médicale c’est-à-dire après trois ans d’inscription à l’Ordre. On est intégré dans le classement général mais on ne peut pas aller où on veut. Une ville doit explicitement faire la demande d’un interne de la CE et elle doit en préciser la spécialité de cet interne. L’Europe reste une grande idée qui fait rêver. »

La loi de la CMU interdit aussi aux hôpitaux de recruter de nouveaux médecins titulaires de diplômes étrangers. Le SNPAC s’en réjouit. Pour ce syndicat, cette interdiction est synonyme de progrès : « les directeurs, les ministres, les chefs de service, ont profité de ces gens-là. On va ne pas recommencer avec de jeunes médecins étrangers qui arrivent. C’est pourquoi on a demandé à ce que soit supprimé le statut d’associé. » Pourtant à bien lire la loi et son article 60, on découvre que « les établissements publics de santé ne peuvent plus recruter de nouveaux médecins titulaires de diplômes, titres ou certificats délivrés dans les pays autres que ceux faisant partie de la Communauté européenne (…) sauf s’ils justifient avoir exercé des fonctions dans un établissement public de santé avant la publication de la présente loi ». Ce qui ouvre dans les faits un véritable boulevard pour embaucher des MDE dans les hôpitaux puisqu’une seule journée de vacation suffit à détourner l’interdiction. Amine Benyamina, porte-parole du SM Plus donne son interprétation : « avec la loi de 99, ils ont démontré la nécessité d’intégrer des MDE qui représentent une main d’œuvre intellectuelle présente, disponible, bon marché. La loi laisse la possibilité d’être embauché avec le statut d’associé. »

La fameuse loi n'envisage pas tous les cas de figure car si elle prévoit qu’à partir du 1er janvier 2002, les MDE ayant réussi le CSCT et disposant de six années de fonctions hospitalières pourront être autorisés à exercer hors quotas, le cas des personnes ayant obtenu le CSCT sans avoir reçu de réponse de la commission suscite encore des interrogations. Pour le porte-parole de SM Plus, « la commission ad hoc est très en retard mais elle est obligée d’écluser tout le monde. » Au-delà du 1er janvier 2002, nul ne sait si d’autres portes seront ouvertes pour les médecins extra-communautaires. La situation des jeunes MDE arrivés en France après la promulgation de la loi CMU de 99 reste pour le moment problématique et s’ouvre sur un vide juridique, comme le reconnaît Pierre Haenel, secrétaire général de l’Ordre (voir Interview). 

Mohamed Ettahiri du Comité des médecins à diplôme étranger explique ce qui ce qui se passera dans l’avenir : « à partir de 2002, si la France a besoin par exemple de 100 anesthésistes, elle fera un appel d’offres. Elle organisera un concours. Les 100 premiers classés vont venir en France pendant trois années dans un hôpital et après ils pourront faire ce qu’ils veulent. S’ils veulent rester à l’hôpital, ils doivent passer le concours de la fonction publique ». Loi ou non, pour Amine Benyamina, l’avenir des MDE se résumera à un rapport de force : « La démographie médicale est en crise. On va vers une situation qu’à mon sens personne ne peut prévoir. Personne ne peut s’aventurer à dire qu’on va s’en sortir en gardant le cap tel quel. C’est une félicitée que les MDE soient là mais malgré ça, l’avenir n’est pas dégagé. On veut le principe d’égalité et on n’acceptera pas d’être intégré à n’importe quel prix. Nous voulons la disparition des statuts discriminants qu’ils soient positifs ou négatifs. » Pour l’Ordre en revanche, « ces questions n’ont pas à avoir d’incidences sur l’estimation raisonnée du nombre d’étudiants en médecine accueillis dans les UFR, reflet du nombre de médecins qui pourront être à même de répondre aux besoins des populations en France… dix à quinze plus tard ! »1

Selon l’Ordre, depuis 1996, 4127 PAC ont été autorisés à exercer en cette qualité. Alors que 70 MDE en 1995 recevaient une autorisation d’exercer dans le cadre des quotas, ils étaient 75 en 1996, 400 en 1997, 300 en 1998, 100 en 1999… En outre, l’Ordre souligne que 3257 médecins ont été autorisés à exercer en application de la loi CMU. 

Céline Bergès

Pour aller plus loin  

SM Plus syndicat des médecins à titre extra-communautaire. Sur ce site, vous trouverez les coordonnées du Comité des médecins à diplôme étrangers, du SN-CACC, des textes de lois, la commission pour l’égalité des droits de tous les médecins exerçant en France…

SN-PAC syndicat des Praticiens adjoints contractuels.

MRAP : le mouvement contre le racisme et pour l’amitié des peuples participe au collectif contre les discriminations organisées.

GISTI : le Groupe d’information et de soutien des immigrés participe aussi au collectif contre les discriminations organisées. Dossier spécial sur les emplois fermés aux étrangers.

Rapport du Cabinet Bernard Bruhnes Consultants « Les emplois du secteur privé fermés aux étrangers », pour la Direction des Populations et des Migrations du Ministère de l'Emploi et de la Solidarité, novembre 1999. 

Rapport de CERC-Association : immigration, emploi et chômage. Un état des lieux empiriques et théoriques


 1 Bulletin de l’Ordre des médecins, mars 2001