Bulletin de l'Ordre des Médecins - Mars 2001

 

 




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Interview Hani-Jean Tawil

 

Quelques chiffres sur les médecins à diplôme étranger exerçant en France

- Nombre de PAC autorisés à exercer en cette qualité depuis 1996 : 4 127 (cinq arrêtés). Un prochain arrêté devrait être prochainement publié.
- Nombre de médecins autorisés à exercer la médecine (dans le cadre des quotas) : 70 en 1995, 75 en 1996, 400 en 1997, 300 en 1998.
- Nombre de médecins autorisés à exercer en application de l'article 60 de la loi CMU, c'est-à-dire ayant été reçus au concours de PAC et ayant 3 ans d'exercice en qualité de PAC ou 6 années de fonctions hospitalières : 3 257 (soit huit arrêtés publiés entre décembre 1999 et décembre 2000).

 

 

Dossier

 


Médecins à diplôme étranger :
un vrai dilemme ?


Bien qu'aucun chiffre global n'ait jamais été publié officiellement, on estime qu'il y aurait aujourd'hui en France environ 8 000 médecins à diplôme étranger exerçant dans les hôpitaux publics ou privés. Pour certains, la situation s'est récemment améliorée, mais elle reste précaire pour beaucoup. La régularisation qu'ils réclament pose cependant de sérieux problèmes, alors que le numerus clausus reste bloqué…
Propos recueillis par Arlette Chabrol


Pour exercer la médecine en France, il faut remplir trois conditions cumulatives fixées par le Code de la santé publique(1). Avoir la nationalité française ou être ressortissant d'un État membre de l'Union européenne(2), posséder un diplôme permettant l'exercice en France et être inscrit à un tableau de l'Ordre. Il existe néanmoins deux possibilités pour les médecins étrangers ou français titulaires d'un diplôme étranger d'obtenir l'autorisation d'exercer la médecine en France.

La voie " épineuse " des PAC
La voie la plus récente, celle qui a fait couler le plus d'encre, est celle des Praticiens Adjoints Contractuels, les fameux PAC. Il faut rappeler les circonstances de cette création : lors de son retour au ministère de la Santé, en 1995, Mme Simone Veil avait souhaité régulariser le statut des médecins étrangers, de plus en plus nombreux à exercer dans les hôpitaux français, non seulement dans des conditions souvent médiocres (précarité et bas salaires), mais en dehors de tout cadre légal. Elle a donc fait passer dans le cadre de la loi(3) portant diverses dispositions d'ordre social un article qui crée le statut des PAC.
Son principe : après reconnaissance de la valeur du diplôme et à condition de justifier, au moment de la promulgation de la loi, d'un exercice de trois ans au moins dans un établissement public ou privé participant au service public, le candidat devait satisfaire à des épreuves nationales d'aptitude, moyennant quoi il pouvait être autorisé, individuellement, à exercer sa profession de façon contractuelle, sous l'autorité du chef du service, dans un établissement désigné dans son arrêté de nomination. L'inscription au tableau de l'Ordre se faisant alors - et alors seulement - sous une rubrique spécifique. Cela signifiait que toute rupture de contrat avec l'établissement concerné entraînait systématiquement une radiation du tableau.
Mais l'article 60 de la loi du 27 juillet 1999 créant la CMU a abrogé les dispositions précédentes. Les dernières épreuves nationales d'aptitude des PAC seront en principe organisées avant le 31 décembre de cette année. Les conditions d'accès à ces épreuves n'ont pas changé, mais les trois années d'exercice exigées doivent avoir été effectuées avant le 1er janvier 1999. Cela dit, les PAC ont vu l'une de leurs revendications majeures aboutir puisque l'inscription à l'Ordre se fait désormais au tableau général et non plus sous une rubrique spécifique. Par ailleurs, à la liste des établissements de santé publics et privés participant au secteur public dans lesquels ils sont autorisés à exercer, viennent s'ajouter les établissements de transfusion sanguine.

La voie des autorisations individuelles d'exercer
Cette voie est la plus ancienne : l'autorisation individuelle d'exercer la médecine en France, pour des médecins ne répondant pas aux conditions de nationalité et/ou de diplôme fixées à l'article L. 4111-1 (ancien article L. 356) du Code de santé publique, a été instituée par une loi de juillet 1972. Plusieurs fois remaniée, elle s'éteindra le 31 décembre prochain au profit d'autres autorisations prévues à l'article 60 de la loi créant la CMU.
Pour mémoire, la loi de 1972 prévoyait un nombre limité d'autorisations annuelles (quota) publiées par arrêté du ministère de la Santé. Après vérification de la valeur scientifique de leur diplôme par le ministère chargé des Universités, les candidats subissaient des épreuves écrites et orales (CSCT) ; leur dossier était ensuite soumis à une commission ad hoc. Une fois autorisés à exercer, ils pouvaient s'inscrire au tableau de l'Ordre, mais ne pouvaient exercer que la médecine générale. Si ces médecins étaient par ailleurs titulaires d'un diplôme étranger de spécialité, ils devaient déposer une demande de qualification devant les commissions ordinales pour pouvoir être qualifiés spécialistes dans une discipline.
L'obtention de cette autorisation pouvait, en raison des quotas, prendre plusieurs années. En attendant de l'obtenir, la seule possibilité d'exercer la médecine en France, pour ces médecins, était d'être nommés sur un poste d'attaché-associé dans un établissement hospitalier public. Ce type de recrutement est désormais fermé puisque, depuis le 28 juillet 1999, date de la promulgation de la loi sur la CMU, les hôpitaux ne peuvent plus recruter directement de nouveaux médecins titulaires de diplômes étrangers.
Cela dit, nous avons assisté, dans ce registre, à une évolution très sensible des chiffres : jusqu'en 1997, le nombre d'autorisations constituant le quota des médecins autorisés à exercer était resté faible car strictement limité. Mais il a considérablement augmenté au cours de trois dernières années. D'autant plus que l'on doit y ajouter désormais les nombreuses autorisations délivrées hors quota. En effet, l'article 60 de la loi du 27 juillet 1999 précitée prévoit que les personnes reçues aux épreuves nationales d'aptitude aux fonctions de PAC peuvent aussi être autorisées individuellement à exercer la médecine en France, hors quota, si elles ont déjà exercé des fonctions de PAC pendant trois ans ou des fonctions hospitalières pendant six années.

Et l'avenir ?
À partir du 1er janvier 2002, de nouvelles possibilités d'autorisations individuelles d'exercer la médecine seront offertes :
- Pourront être " autorisées ", hors quota, les personnes qui, d'une part, auront satisfait aux épreuves du CSCT organisées sous le régime antérieur et qui, d'autre part, justifieront de six années de fonctions hospitalières à la date de leur candidature.
- Les médecins qui auront exercé des fonctions hospitalières pendant trois ans pourront se présenter à des épreuves de vérification des connaissances (celles-ci seront organisées pour une ou plusieurs disciplines ou spécialités). Leur dossier sera ensuite soumis à une commission ad hoc qui devra se prononcer dans l'année suivant le dépôt de candidature.
Y aura-t-il d'autres possibilités dans l'avenir ? Les dossiers en suspens une fois réglés, les portes seront-elles complètement fermées ? En fait, il sera encore possible à des médecins à diplôme étranger de travailler dans des établissements publics. Mais les conditions devraient être beaucoup plus précises. Cette possibilité sera offerte à ceux qui veulent préparer une spécialisation en France, mais uniquement pendant la période de leur formation. Quant aux médecins qui bénéficient de la qualité de réfugié, d'apatride ou de bénéficiaire de l'asile territorial, ils conserveront leur droit d'exception… Enfin, les dispositions prévues pour accorder des autorisations individuelles à occuper des fonctions d'enseignement et de recherche et compléter une formation sont maintenues.

(1) Article L. 4111, anciennement article L. 356.
(2) Sont également concernées les personnes de nationalité tunisienne, marocaine ou andorrane, ou ressortissantes d'un État lié par une convention d'établissement avec la France : républiques de Centrafrique, du Congo, du Gabon, du Mali, du Tchad et du Togo.
(3) Article 3 de la loi n° 95-116 du 4 février 1995.

 

Le point de vue du Conseil national
Réalisme et équité


Depuis des décennies, de nombreux médecins à diplôme étranger exercent dans les hôpitaux français. Dans un premier temps, ces médecins ont poursuivi une formation complémentaire en France, à la suite de quoi des " fonctions hospitalières ", plus ou moins officielles, leur ont été confiées dans des CHU ou les CHR. Parfois, c'était la seule issue à la poursuite des activités d'hôpitaux secondaires… Le problème a été officiellement soulevé en 1995. Depuis, des solutions réglementaires " en cascade " ont été prises, gênant leur lisibilité : augmentation depuis 1997 des autorisations individuelles d'exercice après examen écrit et oral, création des concours et postes de PAC, autorisation d'exercice délivrée " hors quota " (loi CMU juillet 1999) à des praticiens ayant une ancienneté reconnue de fonction hospitalière. Toutes les mesures transitoires devront être redéfinies en 2002… Les positions du Conseil national de l'Ordre ont été et restent très claires :
' Il est souhaitable de régulariser la situation de médecins exerçant dans les faits depuis de nombreuses années par le truchement de " fonctions provisoires et mal définies ".

- On doit, par contre, exiger de tout médecin exerçant en France, tant à l'hôpital qu'en privé, une compétence reconnue dans sa discipline.
- Les critères permettant la reconnaissance de qualifications doivent être comparables pour tous les praticiens exerçant sur le territoire français et appréciés par les mêmes commissions qui qualifient les médecins français.
- La difficulté actuelle est que la plupart des médecins à diplôme étranger obtiennent une autorisation d'exercer en France sans que leur ait été reconnue parallèlement une qualification dans la discipline qu'ils exercent. Ils sont, de ce fait, inscrits au tableau de l'Ordre en qualité de médecins généralistes, discipline qu'ils n'ont, pour beaucoup, pas exercée antérieurement. Une clarification apparaît donc indispensable, avec des critères de qualification dans chaque discipline d'exercice, conformes à ceux exigés pour tout médecin à diplôme français ou d'un pays de l'Union européenne.
- Il faut, enfin, dissocier très clairement deux situations distinctes. D'une part, la possibilité pour des médecins à diplôme étranger de suivre une formation complémentaire en France (signe de la notoriété de la médecine française), avec une pratique hospitalière durant leur temps de formation. D'autre part, les possibilités ponctuelles d'exercice en France de tel praticien, selon des critères précis, équitables, préalablement définis. Cela permettra de mieux appréhender les cas particuliers de situations personnelles. Mais ces questions n'ont pas à avoir d'incidences sur l'estimation raisonnée du nombre d'étudiants en médecine accueillis dans les UFR, reflet du nombre de médecins qui pourront être à même de répondre aux besoins des populations en France… dix à quinze ans plus tard !

Dr Daniel Grunwald

 

Bulletin de l'Ordre des Médecins - Mars 2001

 

 

 

Dossier

 


Médecins à diplôme étranger : un vrai dilemme?
Interview Hani-Jean Tawil

" Nous voulons rentrer par la porte… comme tout le monde ! "


Président du Syndicat national des PAC, le Dr Hani-Jean Tawil mène une bataille acharnée pour faire reconnaître les droits des médecins à diplôme étranger. S'il se félicite des avancées obtenues dans le cadre de la loi sur la CMU, il estime qu'il reste encore bien des points à régler...


Quelles sont vos revendications ?
La régularisation des médecins titulaires PAC ou reçus sur les listes d'aptitude des PAC est désormais en cours, et l'inscription à l'Ordre des médecins ne se fait plus sur une liste spécifique. Ces points sont positifs et représentent un premier pas important dans l'intégration de ces médecins dans le régime commun. Reste que tous ces praticiens sont ou seront autorisés à exercer la médecine générale. Or, là où ils exercent, en l'occurrence à l'hôpital, ils sont presque toujours dans des fonctions de spécialistes. Il nous semble qu'il y a là un risque sérieux... Il faudrait trouver assez vite un cadre légal pour éviter des situations critiques.

Qu'est-ce qui les empêche de présenter un dossier de qualification ?
Sur les 4 400 médecins inscrits sur les listes PAC, 450 seulement ont, à ce jour, décroché leur qualification ! Des blocages existent. Ce que nous demandons, c'est que des critères, à l'avenir, soient fixés avec précision. Que les compétences exigées soient clairement définies. Et lorsque nous y répondons, nous voulons être reconnus pour nos compétences. Nous ne cherchons pas à rentrer par la fenêtre ; nous voulons rentrer par la porte, comme tout le monde ! Mais, ensuite, avoir les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres praticiens…

En fait, vous réclamez une qualification automatique des PAC…
Non. Le SNPAC souhaite que les commissions de qualification continuent à travailler comme elles le font, mais avec des règles justes, claires et applicables à tous. Il propose que tout PAC ou tout Praticien Hospitalier qui a rempli cinq ans de fonctions hospitalières dans un établissement public en tant que spécialiste, sous quelque statut que ce soit, obtienne la qualification.

Mais les hôpitaux peuvent-ils payer ?
Le ministère a déjà accordé le budget de transformation des postes PAC en postes PH, selon le protocole d'accord passé le 13 mars 2000 entre les syndicats de PH et la tutelle. Cela ne devrait donc pas constituer un blocage financier pour les hôpitaux. Le problème, il est vrai, se pose pour les médecins à diplôme étranger qui n'ont pas de poste de PAC et travaillent comme assistants ou attachés associés.
En tant que tels, ils sont mal payés et se trouvent devant une situation inextricable, car ils ne peuvent pas être inscrits au tableau (l'Ordre n'inscrit pas les associés). C'est pourquoi nous pensons qu'il faut supprimer le statut d'associé.

Comprenez-vous que l'afflux de médecins à diplôme étranger suscite des craintes ?
Sur les 4 400 PAC actuellement recensés et aptes à exercer la médecine, on estime que seuls 2 à 5 % (au maximum) songent à s'installer " en ville ". Cela s'explique : la plupart d'entre eux ont autour de 45 ans et, à cet âge, ils n'ont guère envie de se lancer dans le secteur libéral. Ils préfèrent rester en secteur hospitalier. Faites le calcul : dans quinze ans, beaucoup auront atteint l'âge de la retraite. Quinze ans, c'est justement la durée nécessaire pour former les spécialistes dont la France a besoin. Les établissements hospitaliers, aujourd'hui, manquent de spécialistes et l'on sait bien qu'il faut élargir de toute urgence le numerus clausus. Mais en attendant, pourquoi ne pas utiliser nos compétences ?