CES MEDECINS AU RABAIS QUI FONT TOURNER
L'HOPITAL
Mal payés, souvent astreints aux tâches les plus ingrates, les médecins à diplômes
étrangers représentent près du quart des effectifs hospitaliers français. Ils se
battent aujourd'hui pour améliorer leur sort et recueillent leurs premiers succès
Assis sur un tabouret dans une salle des urgences d'un hôpital parisien, Karim a
l'impression d'un énorme gâchis. Il y a encore dix ans, ce quadragénaire moustachu
était un chinirgien respecté, chef d'un service d'orthopédie de 70 lits à l'hôpital
de Ilemcen en Algérie. En 1992, il est venu s'installer à Paris avec sa famille, pour
offrir à ses deux enfants handicapés un suivi médical introuvable de l'autre côté de
la Méditerranée. Or en France Karim a beau être à la fois médecin et français, il ne
peut exercer comme un médecin français. Ici son diplôme algérien ne vaut rien * Seules
ses mains font la preuve de sa compétence. Karim est donc un médecin au rabais. Pas dans
la pratique bien sûr ! Chaque semaine, à prescrit, diagnostique, opère. Mais Karim ne
vit que de gardes et de vacations. Sa situation est ultraprécaire et surtout mal payée :
de 220 francs les cinq heures (de 18 heures à 23 heures) à 15* 1400 francs la nuit (de
18 h 30 à 8 h 30),
quand, dans le meilleur des cas, on accepte de le payer comme un interne.
Comme Karim, ils sont 8 000 médecins à avoir passé tout ou partie de leur diplôme à
l'étranger. Certains sont venus en France terminer leurs études, le plus souvent pour se
spécialiser, et n'en sont jamais repartis. D'autres ont quitté le pays où Us
exerçaient pour des raisons politiques ou famihales. A eux tous, ces praticiens, souvent
abusivement qualifiés de médecins étrangers alors que beaucoup ont la nationalité
française, représentent près du quart des effectifs hospitaliers. Impossible Jonc de
s'en passer. Et pourtant, ils n'ont, en théorie, pas le droit d'exercer. Car en France
pour ~xercer la médecine trois conditions sont néces,aires : être français, avoir un
diplôme français ou l'un pays de l'Union européenne et être inscrit à 'Ordre des
médecins.
Seulement voilà: depuis les années 80, l'hôpital a fait des entorses à la règle. Avec
l'apparition du nunerus clausus, certains établissements ont coinnencé à manquer
cruellement de main-d'oeuvre. ~ujourd'hui encore, près de 3 000 postes de prati-iens
hospitaliers sont vacants. Loin des presti;ieux centres hospitalo-universitaires, certains
)etits hôpitaux de banlieue ou de province ont ;ouvent du mal à recruter. En particulier
dans les
spécialités les plus dures et les moins lucratives en milieu hospitalier (psychiatrie,
anesthésie, pédiatrie, radiologie ... ). D'où l'idée de faire appel à une
main-d'oeuvre compétente, bon marché et désireuse de travailler: les médecins à
diplômes étrangers. A eux les tâches ingrates, les postes
d'assistants ou d'attachés et les gardes. Et assurent aujourd'hui 60% de l'activité des
urgences. Mais à l'hôpital, travail égal ne rime pas avec salaire égal. Es sont payés
environ 40% de moins que leurs collègues à diplômes français.
Pour sortir de la galère, Karim n'a que deux possibilités. Tout d'abord, passer un
certificat de synthèse clinique et thérapeutique, équivalent à celui qu'obtiennent les
étudiants en sixième année de médecine. « Un véritable chemin de croix, selon Karim.
Ilfaut se replonger des années en arrière. » Une épreuve d'autant plus méritoire que
les candidats reçus ne sont même pas assurés de pouvoir exercer. Car la réussite au
concours doit être validée par un arrêté ministériel qui met souvent du temps à
venir. Plus de 900 médecins reçus à l'examen attendent aujourd'hui confirmation,
certains parfois depuis plusieurs années ! Seconde possibilité : passer l'examen de
praticiens adjoints contractuels, instauré par Simone Veil en 1995. Près de 3 800
médecins l'ont réussi. Ils travaillent aujourd'hui sous contrat à durée déterminée
uniquement à l'hôpital et non en ville, pour un salaire inférieur à leurs collègues
français.
Longtemps oubliés par les pouvoirs publics, les médecins à diplômes étrangers ont
fini par se faire entendre. Dès l'année dernière, le ministère de la Santé a
commencé à purger les listes d'attente des candidats reçus au certificat de synthèse
clinique : 400 ont été régularisés en 1998 et 300 devraient l'être cette année. Par
ailleurs, un article de la loi sur la couverture maladie universelle, publiée au (~
journal officiel » cet été, a élargi les conditions d'accès au concours de
contractuels et amélioré leur statut : les candidats reçus ainsi que les médecins qui
totalisent six ans d'exercice pourront s'inscrire à l'Ordre des Médecins. Une condition
indispensable pour s'installer comme généraliste en ville ou pour se présenter aux
concours de praticiens hospitaliers.
La loi ne résout pas tous les problèmes pour autant. « Nous allons maintenant
devoir nous battre sur deux gros chantiers : les salaires et la qualification »,
prévient Jamil Amhis, président d'honneur du' SNPAC, un syndicat de praticiens adjoints contractuels.
Les médecins à diplômes étrangers n'ont toujours pas le droit d'exercer leur
spécialité en dehors de l'hôpital. Comme si une fois la porte franchie leurs
compétences disparaissaient. « L gouvernement aurait pu se montrer plus audacieux,
ajoute le docteur Amine Benyamina, du Metek, un autre collectif de médecins à diplômes
étrangers. D'autant plus que désormais le système est verrouillé. » La loi interdit
en effet aux hôpitaux tout nouveau recrutement. Dès l'an 2000, la France arrêtera même
de former des spécialistes venant de l'étranger, à l'exception de ceux qui viennent y
apprendre des techniques très précises. « Le plus important, c'était de sortir ces
médecins de leur ghetto et de fixer des règles claires pour l'avenir, explique-t-on au
ministère. Demain, ceux qui voudront exercer en France devront d'embléepasser un
concours. Et ils connaîtront à l'avance les postes à pourvoir, spécialité par
spécialité. »
MATTHIEU CROISSANDEAU mcroissandeau@nouvelobs.com