Les chirurgiens s'inquiètent du renouvellement de leurs effectifs Mardi 19 mars 2002 (LE MONDE) Un colloque et un rapport récent montrent que la discipline n'attire plus les étudiants. |
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"Inquiets." C'est le diagnostic qu'a porté Bernard Kouchner sur ses confrères chirurgiens en ouvrant, lundi 18 mars, le colloque "Où va la chirurgie ?", organisé par le ministère délégué à la santé. La crise semble particulièrement toucher la chirurgie viscérale et digestive : le taux de renouvellement de ses effectifs (nouveaux diplômés remplaçant les départs en retraite) n'est que de 1,2 %, contre 15,2 % en moyenne pour l'ensemble des spécialités. Lors du colloque, le professeur Jacques Beaulieux (Fédération des collèges de spécialité chirurgicale, Lyon) a indiqué que 50 à 55 étudiants diplômés chaque année en chirurgie optent pour la chirurgie viscérale et digestive, quand il en faudrait 125. La situation promet d'empirer puisque, parmi les inscrits au diplôme d'études spécialisées de chirurgie reçus à l'issue de leur première année, deux ont choisi la chirurgie viscérale en Ile-de-France et un seul pour la région Rhône-Alpes. Plus de 30 % des postes sont occupés par des praticiens adjoints contractuels (médecins à diplôme étranger) et le privé s'accorde 65 à 70 % des interventions programmées, ce qui entraîne un déséquilibre avec le public, à qui échoient les interventions lourdes et l'urgenc! e. Sans forcément les reprendre à son compte, le ministre a lui-même énuméré les raisons invoquées à leur malaise par les chirurgiens. Tout d'abord viennent des conditions de travail devenues difficiles en raison de la dépendance de l'acte chirurgical à l'égard d'autres professionnels et de "considérations logistiques et financières sur lesquelles vous avez peu prise". Autre facteur ressenti comme "angoissant", les "exigences des patients, relayées par la société" et la mise en cause de la responsabilité des chirurgiens. "PLUS AUSSI GRATIFIANT " A cela s'ajoute un métier qui ne "paraît plus aussi gratifiant qu'autrefois". Enfin, "preuve de cette "sinistrose" rampante : le métier n'attire plus les jeunes". Le constat de Bernard Kouchner était nourri du rapport que vient de lui rendre le groupe de travail dirigé par les docteurs Daniel Nicolle et François Aubart, mis en place sous l'égide de la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins. Le rapport souligne un premier phénomène, qui aggrave l'évolution "plutôt à la baisse des effectifs des chirurgiens" : la spécialisation. "Les chirurgiens ayant une capacité à effectuer des actes "généraux", même s'ils ont une spécialisation, vont partir à la retraite dans les dix à quinze ans à venir. Or les chirurgiens plus jeunes n'auront sans doute ni la capacité ni la volonté d'exercer une fonction généraliste." En conséquence, "les hôpitaux qui fonctionnent avec deux ou trois chirurgiens de spécialités différentes, mais capables de prendre des gardes générales, risquent de ne pouvoir survivre en l'état". D'où le souhait exprimé par les auteurs du rapport "d'anticiper par des réorganisations adaptées de l'activité chirurgicale les risques d! 'arrêt brutal de fonctionnement". De multiples difficultés auxquelles s'ajoutent celles liées au respect des nouvelles normes de sécurité et aux conséquences des évolutions technologiques, qui conduisent à suggérer une "concentration des moyens" et "un volet d'investissement dédié à l'innovation technologique". De même, l'impact de la réduction du temps de travail sera lourd de conséquences : "pour respecter la nouvelle réglementation, les effectifs des équipes assurant la permanence médicale devront être au minimum de six ou sept médecins pour assurer une présence permanente et quatre pour assurer une astreinte", peut-on lire dans le rapport du groupe de travail. Plaidant pour un "plan chirurgie", le groupe de travail estime que "le maintien du statu quo est impossible". Il refuse "l'illusion que des moyens supplémentaires suffiront", se soucie"d'éviter une concentration massive de la chirurgie dans quelques sites" et de maintenir "des structures de proximité". Paul Benkimoun |