1/ Le renouvellement des effectifs est devenu un problème urgent / LE MONDE | 27.11.03 | 12h31

2/ L'hôpital public menacé par la pénurie d'argent et de personnels / LE MONDE | 27.11.03 | 13h30

 

1/ Le renouvellement des effectifs est devenu un problème urgent

LE MONDE | 27.11.03 | 12h31

Aveuglement sur l'évolution de l'emploi et de la demande de soins, ou pénurie organisée ? La question des effectifs de soignants et de médecins, sensible dans tous les hôpitaux publics, va prendre un tour dramatique dans les années qui viennent.

D'ici à 2015 en effet, selon des projections officielles du ministère de la santé, 383 000 agents hospitaliers prendront leur retraite soit 55 % de l'effectif total. Parallèlement, le nombre de médecins en France métropolitaine va diminuer de quelque 20 % d'ici à 2020, en raison de la politique de resserrement du numerus clausus menée depuis des années. "La pénurie était prévisible depuis quinze ans. Elle a été organisée par les pouvoirs publics. Ils pensaient, en réduisant l'offre de soins, réduire la demande", dénoncent en chœur les syndicats hospitaliers.

Les établissements de santé vont affronter des situations impossibles à gérer, sauf à recourir encore plus qu'aujourd'hui à des professionnels à diplôme étranger. Actuellement, 196 000 médecins travaillent en France métropolitaine, à l'hôpital et en ville. La densité médicale – 130 médecins pour 100 000 habitants en 1970 – s'élevait à 332 pour 100 000 en 2001 et tombera à 253 pour 100 000 en 2020, selon le rapport présenté en novembre 2002 par le Pr Yvon Berland sur "la démographie des professions de santé". Compte tenu du temps requis pour la formation d'un médecin, même en augmentant le numerus clausus à 8 000, on ne retrouverait qu'en 2037 la densité médicale nationale actuelle. La féminisation de la population médicale, son vieillissement et la tendance générale à la réduction du temps de travail accroissent les tensions.

La baisse du nombre de médecins entre 2002 et 2020 est plus forte chez les spécialistes (- 27 %) que chez les généralistes (- 11 %). A conditions de formations identiques et de comportements inchangés des étudiants, cette diminution sera supérieure à 30 % des effectifs pour sept spécialités : l'anesthésie, la dermatologie, la médecine interne, la radiologie, l'ophtalmologie, l'oto-rhino-laryngologie (ORL) et la psychiatrie. Quatre disciplines sont déjà en très grande difficulté : la chirurgie, la gynécologie obstétrique, la pédiatrie et la psychiatrie...

"VIEILLISSEMENT"

Le problème ne se limite pas aux médecins. Quelle que soit sa spécialité, un infirmier sur deux de la fonction publique hospitalière partira à la retraite d'ici à 2015. Conscient de la gravité de la situation, M. Mattei a relevé le nombre d'entrées annuelles en formation à 30 000. Toutefois, la plupart des hôpitaux se plaignent déjà de pénuries. "La profession accuse un vieillissement sensible puisque l'âge moyen est passé de 34 ans en 1981 à 41 ans début 2000. L'exercice en établissement hospitalier public est moins prisé par les tranches les plus jeunes de la population", relève, pudiquement, le rapport Berland.

"Pour faire face aux besoins de la population et aux départs en retraite, nous estimons qu'il faudrait former 40 000 infirmières par et 9 500 médecins par an pendant cinq ans", fait valoir Nadine Prigent, secrétaire générale de la fédération CGT de la santé et de l'action sociale. Si ces évaluations ne font pas l'unanimité, l'ensemble des organisations syndicales exigent, d'urgence, l'ouverture de négociations sur la formation et l'emploi.

C. Gu.

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 28.11.03

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2/ L'hôpital public menacé par la pénurie d'argent et de personnels

LE MONDE | 27.11.03 | 13h30

Les 1 500 établissements et leurs 750 000 agents traversent une crise sans précédent, aggravée par la mise en place rapide des 35 heures. Les syndicats jugent que le plan "Hôpital 2007" du gouvernement ne répond pas à l'urgence. Ils appellent à une journée d'action le 16 décembre.
C'est une octogénaire, en phase terminale de cancer, que l'hôpital du Val-de-Grâce renvoie chez elle, à l'Ascension, faute d'infirmières. C'est un adolescent, accueilli aux urgences de Cochin, à qui l'on diagnostique une appendicite aiguë et qui est aiguillé, faute de chirurgien, sur une clinique privée. Ce sont ces listes d'attente qui atteignent parfois trois mois pour une consultation spécialisée. L'hôpital public est au bord de la rupture. Asphyxié par le manque de personnel, paralysé par sa bureaucratie et par son organisation taylorienne, menacé de banqueroute.

Les normes sanitaires de plus en plus contraignantes et la baisse de la durée du travail ont exacerbé cette crise. Le déficit chronique de l'assurance-maladie (30 milliards de déficit cumulé sur 2002-2004) n'arrange rien. " La situation budgétaire des hôpitaux est telle que certains, s'ils n'étaient pas des établissements publics, seraient en redressement judiciaire", pointe le docteur François Aubart, président de la Coordination médicale hospitalière (CMH). Sauf à fermer des lits, les budgets ne seront pas tenus en 2004, du fait de l'augmentation insuffisante accordée par le gouvernement (+ 4,2 %, après + 5,6 % en 2003).

Lancé en novembre 2002, le plan "Hôpital 2007", qui prévoit, entre autres, la rénovation d'un parc vétuste et l'introduction d'une tarification à l'activité (réforme du financement prenant en compte les pathologies traitées), a été conçu pour apporter des remèdes à l'horizon de la législature. Or tous les hospitaliers l'assurent, il y a urgence, car l'hôpital est "en danger".

  • Les effectifs sous tension. Pendant longtemps, les personnels n'ont pas compté leur temps. Jusqu'à ce que les 35 heures, introduites en septembre 2001, modifient les comportements. Les jeunes générations ne veulent plus faire de leur métier un sacerdoce. Le repos de sécurité, l'intégration des gardes dans le temps de travail et l'application à l'hôpital de la directive européenne limitant à 48 heures la semaine des médecins ont changé la donne. La conjonction de ces dispositions, des 35 heures sans création d'emplois ni réorganisation du travail suffisante et du manque d'effectifs est dévastatrice.

    Dans une lettre ouverte à Jean-François Mattei, plus de 180 grands patrons de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) viennent de réclamer des mesures d'urgence contre "la pénurie aiguë de personnel médical" (Le Monde du 15 novembre).

    Selon eux, le nombre d'internes à l'AP-HP a diminué de 50 % au cours des dix dernières années et de 25 % depuis cinq ans. L'"augmentation raisonnée" du numerus clausus en médecine (5 600 places en 2004) et dans les écoles d'infirmières (30 000) n'y changera rien dans l'immédiat. D'autant que près de 40 000 agents employés la nuit doivent passer, début 2004, à 32 h 20 par semaine.

  • Le malaise des personnels. Les conditions de travail se dégradent. Dans le rapport qu'il a consacré au "désenchantement hospitalier", à la suite d'une mission d'information parlementaire, René Couanau, député (UMP) d'Ille-et-Vilaine, a constaté un "malaise généralisé"et relevé des indicateurs objectifs de "lassitude". L'accroissement de l'absentéisme pour "maladie ordinaire", l'augmentation des démissions et de la conflictualité, le nombre de postes vacants, qui atteint 40 % dans certaines spécialités et dans plusieurs régions. "Il y a 3 400 postes non pourvus. 8 000 médecins à diplôme étranger font fonctionner l'hôpital public à raison de 50 à 60 heures par semaine", relève le docteur Rachel Bocher, présidente de l'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH).

    Personnels soignants (infirmiers, kinés...) et médecins se plaignent de leur charge de travail, des cadences et de la "déshumanisation" de leurs tâches. Le Syndicat national des cadres hospitaliers (SNCH), majoritaire chez les directeurs d'hôpital, parle d'un syndrome de "burn out" (épuisement professionnel) des administratifs. La réduction des horaires d'ouverture des secrétariats désorganise les services, et la montée en charge des urgences au détriment des opérations programmées génère des tensions. Autant de sujets de crispation, qui émergent à l'occasion des restructurations hospitalières.

  • Un univers bureaucratique. Dans un monde de plus en plus judiciarisé, l'hôpital travaille sans filet et n'a pas de pilote. Son conseil d'administration ne peut ni faire exécuter son budget ni choisir ses managers ou ses principaux chefs de service, nommés par le ministère de la santé. Les cadres hospitaliers sont constamment tiraillés entre les exigences de l'Agence régionale d'hospitalisation et celles de l'administration centrale. "Ces dernières années, nous avons mis en œuvre des réformes de fond comme les 35 heures ou l'accréditation, tout en assurant le tout-venant. On nous en demande toujours plus. On veut nous faire courir un 100 mètres avec des boulets aux pieds", résume Florence Quiviger (SNCH) dans une allusion implicite aux rigidités statutaires, qui ne permettent guère de valoriser le travail bien fait.

    Les praticiens hospitaliers, pratiquement nommés à vie, défendent "leurs" lits. L'hôpital étant balkanisé, la défense des territoires prime souvent sur l'intérêt collectif. "Le mal principal dont souffre l'hôpital en 2003 est d'ordre managérial. Il n'a ni une gestion ni un commandement à la mesure de l'extrême complexité de fonctionnement d'un grand hôpital moderne", note Dominique Coudreau, magistrat à la Cour des comptes et ancien directeur de l'ARH d'Ile-de-France dans la préface de "Ré-inventer l'hôpital", un rapport que l'Institut Montaigne, proche de Claude Bébéar (AXA), s'apprête à rendre public.

  • Les scénarios de l'avenir. Les années qui viennent s'annoncent difficiles. Entre 2005 et 2015, plus de 383 000 hospitaliers partiront à la retraite. Soit un agent sur deux (et une infirmière sur deux). Le pic sera atteint en 2012 avec 30 000 départs. A la même date, les établissements de santé devront faire face à la demande d'une population vieillissante, comptant plus de 2 millions de personnes de plus de 85 ans.

    Sans réforme, l'hôpital sera bien en peine de répondre à toutes les demandes et à tous les patients. Une partie des syndicats hospitaliers (CGT, FO, SUD, CFTC) redoute qu'il ne soit contraint de se recentrer sur les urgences, de redevenir un "hôpital-hospice", les activités les plus rentables étant transférées aux cliniques privées. Ce scénario, qu'ils accusent M. Mattei de défendre au nom de l'idéologie libérale qui est la sienne, n'est pas le moins improbable. En Allemagne, faute d'avoir su ou voulu changer à temps, une partie des hôpitaux publics de Berlin et de Hambourg est à vendre.

    Claire Guélaud


    50 milliards d'euros de budget

     

    Le système hospitalier public compte 1 503 établissements : 1 031 hôpitaux publics et 472 établissements privés à but non lucratif participent au service public hospitalier. Ils emploient 750 000 personnes, dont 706 897 fonctionnaires. 100 000 médecins et quelque 200 000 infirmiers travaillent à l'hôpital. Les effectifs sont très concentrés : les 31 centres hospitaliers régionaux (CHR), les 563 centres hospitaliers généraux (CHG) et les 97 centres hospitaliers spécialisés (psychiatrie) emploient 8 agents hospitaliers sur 10. Les services de soins font à eux seuls travailler plus de 500 000 agents titulaires. Plus d'un sur deux partira à la retraite d'ici à 2015. Le budget total de ces établissements s'élève à quelque 50 milliards. Les 39 hôpitaux de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris en absorbent 10 %.

  •  ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 28.11.03