du 15/10/2002

 Médecine libérale : les sirènes de l'Occident attirent les praticiens de l'Est

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Le Parlement européen de Bruxelles s'est déjà saisi du dossier(photo AFP)

 Dans l'Europe des Vingt-Cinq, les médecins lettons, estoniens, tchèques, chypriotes, polonais seront théoriquement libres de s'installer où bon leur semblera. Etant donnée la disparité des formations médicales en vigueur chez les futurs pays entrants, cette perspective oblige à revoir les conditions d'exercice imposées aux candidats au voyage. Bruxelles s'attelle à cette tâche et propose une directive qui inquiète l'Ordre français.

Jusqu'à présent, les médecins allemands, italiens, belges, danois ne se sont pas précipités pour exercer en France. Le Dr Michel Chassang, président de la CSMF (Confédération des syndicats médicaux français), se souvient que quand la libre circulation des médecins est devenue possible, en 1973, « on s'est dit, bien sûr, qu'il allait y avoir le barrage de la langue, mais que les Belges, les frontaliers, allaient être tentés. Or le phénomène est resté très marginal. La libre circulation n'a pas engendré de mouvement massif des médecins à l'intérieur de l'Europe ». Les chiffres sont éloquents : en France, les médecins ayant obtenu leur diplôme dans un autre pays de l'Union représentent aujourd'hui à peine 1 % de l'ensemble du corps médical (voir encadré). Même aux frontières, les malades se déplacent plus volontiers que les médecins.

Le verrou de la langue saute

Tirant les leçons du passé, le Dr Chassang estime qu'il n'y a pas matière à s'inquiéter de l'élargissement de l'Europe. « Je ne suis pas certain, ironise-t-il, que les Estoniens ou les Lituaniens viennent majoritairement s'installer à Paris. » Président de MG-France, le Dr Pierre Costes ne se fait pas de cheveux non plus : « La France intéressera peut-être des spécialités très techniques ; mais la médecine générale moderne, qui assure l'accompagnement du patient dans des trajectoires complexes et le management des équipes de soins libérales, sera difficilement accessible. » Tout le monde n'est pas de cet avis.

Sans prédire la naissance de flux migratoires médicaux monstrueux, d'aucuns annoncent des mouvements importants, notamment en provenance d'Europe de l'Est. Ils avancent deux arguments : le verrou de la langue qui saute (on parle encore le Français en Pologne ou en République tchèque) ; l'attrait économique, inexistant dans l'Europe des Quinze (le niveau de vie des Etats membres est comparable), qui apparaît.

Il ne semble pas déraisonnable de penser que, devenus « Européens », beaucoup de médecins des pays de l'Est voudront franchir le pas. Ces dernières années, ils ont déjà été nombreux à se plier sans hésiter aux conditions d'intégration difficiles et aux niveaux de rémunération faibles que la France leur imposait eu égard à leur situation de diplômés « hors d'Europe ». 1 000 à 1 200 médecins ressortissants de l'Est exercent actuellement en France. Et ils constituent une part de plus en plus importante des médecins dits « étrangers » présents sur le territoire (5 % des 8 000 praticiens arrivés dans les années 1980 et 1990 ; un tiers des 1 500 arrivés depuis 1999). « Après les Italiens et les Portugais, après les Orientaux, ils sont la troisième vague des médecins à diplôme étranger », commente le Dr Hani-Jean Tawil, du SNPAC (Syndicat national des praticiens adjoints contractuels).

Pourquoi ne pas profiter de cet afflux potentiel, alors que la France s'apprête à manquer de médecins ? Parce que, tout bêtement, se pose la question de la formation des médecins issus de l'élargissement. « Les Quinze avaient fait un effort d'homogénéisation, explique le président du Conseil national de l'Ordre des médecins, le Pr Jean Langlois. Or ce que l'on sait des études médicales proposées chez les dix nouveaux arrivants, c'est qu'elles sont très inégales (dans certains pays, elles ne durent que quatre ans). Cela entraîne une disparité dans la compétence des médecins formés, et donc éventuellement dans la qualité des soins délivrés. » Le Dr Dinorino Cabrera, président du SML (Syndicat des médecins libéraux), enchérit : « Il ne faut pas non plus que ces pays forment à tour de bras des médecins dont ils n'ont pas besoin. »

Une proposition de directive qui inquiète

Bruxelles n'a pas attendu que les Etats membres s'émeuvent pour se pencher sur la question. La Commission s'est saisie du dossier, dans le cadre d'une proposition de directive - « COM(2002)119 », en date du 7 mars dernier. Ce document est consacré à la qualification des prestataires de service en général, qui s'il était adopté puis voté pourrait entrer en vigueur dans quatre ou cinq ans. Mais trois des dispositions prévues par la Commission sont jugées par l'Ordre « insuffisantes » et même « dangereuses ». Deux sont inquiétantes de manière anecdotique : l'une, selon la traduction que l'on fait de la formule anglaise « basic medical training », introduit une confusion sur les compétences requises des omnipraticiens ; l'autre ne prévoit plus de reconnaître automatiquement dans tous les pays que dix-sept spécialités, ce qui pénalisent les éventuels « exilés » de spécialités non répertoriées. La troisième, qui permet à n'importe quel médecin de s'installer dans un pays de l'Union et d'y exercer sans se déclarer (ni à l'Ordre ni à la DDASS ou équivalents) pendant seize semaines par an, est plus effrayante. « En vertu de ce texte, n'importe qui peut s'installer seize semaines à Dijon, repartir, revenir huit jours plus tard et visser sa plaque à Lyon, explique le Pr Langlois, cela pose de gros problèmes, en particulier de responsabilité civile. »

 

Que font les médecins européens installés en France ?

En tout, 2 572 médecins diplômés dans un Etat membre de l'Union européenne - dont 17 % ont la nationalité française - sont présents sur le sol français, mais près du quart d'entre eux (23 %) ne travaillent pas. 38 % exerçent dans les hôpitaux, 27 % sont installés en ville, 2,5 % font de la prévention, 1 %, de la médecine légale ou judiciaire, 5 % ont un exercice mixte et les 3,5 % restants ont d'autres activités (statistiques de l'Ordre des médecins pour 2001).