Le Quotidien du Médecin / 29 novembre 2001

Un entretien avec la présidente de l'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers

Le Dr Rachel Bocher réclame un traitement immédiat de la démographie médicale

Pour la présidente de l'INPH (Intersyndicat national des praticiens hospitaliers), qui organise aujourd'hui à Toulouse un colloque sur la démographie médicale, le passage aux 35 heures du corps médical hospitalier ne laisse pas d'autre choix aux pouvoirs publics que d'agir de toute urgence pour faire revenir les médecins à l'hôpital public.

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"Il faut un seul statut pour l'ensemble des médecins hospitaliers" (S.Toubon)

 

LE QUOTIDIEN
Votre intersyndicat consacre aujourd'hui un colloque à l'attractivité des carrières hospitalières. Y a-t-il encore beaucoup de chemin à parcourir pour faire revenir les médecins à l'hôpital ?
Dr RACHEL BOCHER

Les choses avancent. Nous, médecins hospitaliers, avons signé deux protocoles, en 2000 et en 2001, mais la route est encore longue pour la rénovation de l'hôpital public et du statut de ses acteurs.
Or, il s'agit maintenant, en particulier sous la pression de la réduction du temps de travail (RTT), d'avancer et d'avancer vite. Nous en sommes au moins au sixième rapport sur la question sans qu'aucune décision n'ait été prise. J'alerte les politiques : ce dossier de la démographie médicale nécessite un traitement immédiat. En la matière, même la non-action correspond à une action. Si on ne fait rien, les jeunes médecins vont aller vers les conditions d'exercice les moins pénibles en favorisant la qualité de vie et la qualité de travail. En l'état actuel des choses, ils n'iront donc pas à l'hôpital. Or qu'est-ce qu'un hôpital sans médecin ? Un hospice.

Indispensables à la bonne marche de l'hôpital, les internes, et, plus discrets, les attachés, sont actuellement en grève. Soutenez-vous leur combat ?

Bien sûr. Prenons les internes. Si j'étais à la place des pouvoirs publics, je verrais un signe dans le fait que des étudiants sont dans l'action, qui ont dix ans d'études derrière eux et qui ont passé chaque année des examens difficiles. Les internes, comme les attachés, pallient, pour des sommes dérisoires, les déficiences de l'hôpital public. C'est la raison pour laquelle l'INPH réclame un seul statut pour l'ensemble des médecins hospitaliers.

Quelle réponse attendez-vous du gouvernement ?

Il faut que les pouvoirs publics descendent de leur Aventin pour voir la réalité du terrain. Ils doivent se rendre compte des nouveaux besoins de santé, des nouvelles formations des acteurs. Car il y a un décalage entre ce qu'il faudrait faire et les propositions qui nous parviennent. Il y a quelques jours, dans le quotidien « Libération », le ministre délégué à la Santé, Bernard Kouchner, a dit que les infirmières pouvaient devenir médecins, ce qui est plutôt humiliant pour nous. L'idée de faire passer les sages-femmes par la première année de médecine ne va pas, autre exemple, régler le problème quantitatif et qualitatif de la démographie médicale. Enfin, on vient de nous proposer d'intégrer les médecins du libéral à l'hôpital public au 9e échelon (« le Quotidien » d'hier) : c'est insultant pour notre engagement dans le service public et discriminatoire à l'égard de nos amis médecins à diplôme étranger.

Une évolution des mentalités

Avec les 35 heures, la démographie médicale hospitalière ne risque-t-elle pas de se mordre la queue ? Les médecins vont être intéressés par l'idée de travailler moins mais, parallèlement, dans les hôpitaux, le temps de travail médical va diminuer.

Je serai claire. Nous n'avons rien demandé. Les 35 heures nous ont été imposées. Quand il a été question de réduire le temps de travail des médecins hospitaliers, j'ai même interrogé la ministre de l'Emploi Elisabeth Guigou : « Vous connaissez le problème de la démographie médicale ? » Elle m'a répondu « Oui ». A partir de ce moment, nous avons voulu une négociation ambitieuse, avec l'intégration des directives européennes, la valorisation du statut et la reconnaissance de la spécificité du métier de médecin hospitalier. Dans ces conditions, la RTT devient évidemment l'épée dans les reins de la démographie médicale : elle fait qu'on ne peut plus échapper à cette question. Et c'est finalement un atout pour faire avancer le dossier.

Séduisant sur le papier, l'accord que les syndicats ont signé avec le gouvernement sur la RTT des médecins hospitaliers est-il raisonnablement applicable sur le terrain ?

Nous sommes tout à fait conscients des difficultés d'application de ce protocole - par ailleurs un accord loyal. Sans arrêt au cours de la négociation, j'ai demandé au gouvernement des garanties financières. On m'a répondu que les garanties statutaires suffisaient. J'attends de voir. Car bien sûr, un certain nombre de problèmes vont surgir. Celui de de l'attribution des nouveaux postes, par exemple. Quels critères vont prévaloir pour choisir de les installer ici plutôt que là ? La pénibilité ? Les postes déjà vacants ? Les priorités de santé publique ? La notion de service public hospitalier impose un accès pour tous et partout à des soins de qualité. Garantir un tel service, ne léser personne, tout en installant la RTT induit des recompositions hospitalières et la mise en place de réseaux. En ce sens d'ailleurs la RTT est intéressante : elle pose les questions auxquelles les pouvoirs publics essaient d'échapper depuis dix ans. Elle oblige les professionnels de santé à travailler ensemble sur le terrain pour assurer un maillage de qualité, ce qui suppose une évolution de nos mentalités.

Comment la RTT des médecins va-t-elle s'articuler avec celle des personnels ?

J'ai toujours été défenseur des conseils de service. Au moment où nous nous retrouvons tous ensemble dans la même barque, alors que nous allons probablement être confrontés à des restructurations un peu forcées, c'est le moment ou jamais de les faire fonctionner. Indépendamment de cela, je pense qu'il faut que les médecins et leurs équipes se rencontrent au niveau national, au sein, par exemple, d'états généraux de la RTT, car on a besoin de grandes lignes directrices pour mettre en œuvre les 35 heures. De grandes lignes qui seraient ensuite redéployées aux niveaux régional et local.

Propos recueillis par
Karine PIGANEAU